Marseille : la mairie mise en cause après l’effondrement des immeubles
Marseille : la mairie mise en cause après l’effondrement des immeubles
Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Un sixième corps a été exhumé mercredi matin par les sauveteurs qui continuent de fouiller dans les gravats de ces bâtiments du quartier de Noailles.
Il faudra une semaine, jour et nuit, pour déblayer l’amas de gravats dû à l’effondrement, lundi 5 novembre, de trois immeubles, en plein centre de Marseille, d’où six corps – quatre hommes et deux femmes – ont été retirés. Le bilan pourrait s’alourdir, le procureur de la République Xavier Tarabeux ayant évoqué cinq à huit victimes potentiellement ensevelies.
Sur le tas de poutres et de pierres enchevêtrées, les secouristes fouillent et déblaient, parfois sous une pluie battante. Une « stratégie minutieuse » est en place, selon un officier des marins-pompiers de Marseille, qui mêle « outils de haute technologie, matériel endoscopique », pelles et paniers en osier. Mardi, en milieu de journée, les secouristes conservaient « un faible espoir », évoquant « de possibles poches de survie situées dans la partie centrale » des décombres.
Syndic depuis des dizaines d’années de l’immeuble situé au 65, rue d’Aubagne, le seul des trois qui était occupé par des locataires, Valérie Marcos, gérante du cabinet Liautard, a affirmé au Monde que le « bâtiment était en bon état et entretenu. Ce n’était pas un immeuble de marchands de sommeil, il n’a jamais été insalubre et les travaux ont toujours été réalisés par les onze copropriétaires ». Un an et demi après un premier arrêté de péril, un second avait, le 18 octobre, frappé un appartement du premier étage. Tous les occupants avaient, ce jour-là, été évacués dans une nacelle des marins-pompiers. Un mur de l’entrée présentait « une grosse fissure », selon la locataire du 5e étage. « Nous sommes intervenus et trois jours plus tard, les travaux préconisés étaient réalisés », assure Jean-François Valentin, gestionnaire de l’immeuble. « Ce qui est arrivé me navre mais, ajoute-t-il, j’avais demandé s’il fallait évacuer les occupants, les experts et les responsables de la ville m’ont dit qu’il n’y avait pas de problème. »
Selon le cabinet Liautard, c’est l’état de l’immeuble mitoyen, situé au 63 et racheté et muré par la ville de Marseille, qui serait à l’origine de la catastrophe. « Il manquait une partie de la toiture à l’arrière et cet immeuble n’avait plus d’ossature, indique M. Valentin. Le sol était en terre battue et l’eau ruisselait vers le 65. » L’enquête devra vérifier ces éléments.
« Le maillon faible, c’est la mairie »
La polémique enfle au sujet de l’insalubrité d’une grande partie du parc privé marseillais, « des chiffres affolants » dénoncés par la Fondation Abbé Pierre. « Dans la lutte contre l’habitat indigne à Marseille, le maillon faible, c’est la mairie, accuse la députée (LRM) Alexandra Louis. Aucun dispositif ne fonctionne. » Un même constat d’échec est dressé au palais de justice où, en 2011, le parquet avait mis en place un Groupement opérationnel de lutte contre l’habitat indigne (Golhi). Pourvoyeur d’outils comme des fiches navettes destinées aux associations, ce dispositif permettait au procureur de multiplier les procédures sur l’habitat indigne et les marchands de sommeil. « La CAF, les services de sécurité étaient sensibilisés pour nous alerter », relève un magistrat. Le dispositif était même présenté aux futurs magistrats de l’Ecole nationale de la magistrature. « Mais, déplore-t-on au palais de justice, il n’a plus été alimenté par les services de la mairie, pourtant en première ligne dans la lutte contre l’habitat indigne. » Après un début prometteur, les signalements se sont raréfiés jusqu’à un seul par mois et le Golhi a fini par ne plus se réunir après février 2017.
Un audit précis de l’habitat indigne à Marseille a été demandé au préfet, a annoncé, mardi Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Mais, pour beaucoup, le diagnostic est fait depuis vingt ans. « Ah, on nous aurait écoutés…, regrette Nordine Abouakil, ancien porte-parole d’Un centre-ville pour tous, association qui a suivi toutes les opérations de requalification dans les quartiers dégradés du cœur de Marseille, notamment à Noailles où a eu lieu la catastrophe. En dix ans, je peux témoigner que la municipalité n’a pas fait preuve de sévérité à l’égard des marchands de sommeil et des propriétaires récalcitrants. On peut même parler de mansuétude. » Après le lancement d’un périmètre de restauration immobilière en 1995, le quartier Noailles a connu deux opérations programmées d’amélioration de l’habitat et un plan d’éradication de l’habitat indigne. « On se retrouve aujourd’hui encore avec 48 % des immeubles de Noailles en état de grande dégradation », déplore M. Abouakil.