« The Spy Gone North » : à Pyongyang, l’espion qui venait du Sud
« The Spy Gone North » : à Pyongyang, l’espion qui venait du Sud
Par Jean-François Rauger
Tiré de faits réels, le film de Yoon Jong-bin met en scène un agent sudiste sous couverture.
Présenté hors compétition lors du dernier Festival de Cannes, The Spy Gone North témoigne de diverses qualités, celle notamment qui consiste à savoir penser avec une certaine intelligence et une relative complexité les conventions cinématographiques attachées à un genre donné. Tiré de faits réels, le film raconte les péripéties d’un ancien officier de l’armée sud-coréenne, Park Suk-young, chargé par les services secrets de son pays, au début des années 1990, de recueillir des informations sur le programme nucléaire de la Corée du Nord. L’homme se rapproche, sous le couvert d’affaires commerciales à réaliser, des dirigeants du pays voisin. Avec son identité de businessman inoffensif, Park Suk-young, dont le nom de code était « Black Venus », réussira si bien son coup qu’il rencontrera Kim Jong-il, le leader mégalomane de la Corée du Nord.
Film d’espionnage, ou plutôt film sur l’espionnage, The Spy Gone North doit peu aux exploits d’un James Bond. On pense, en effet, davantage aux romans d’un John le Carré, dans lesquels le récit d’espionnage (que la situation entre les deux Corées semble avoir figé dans le temps d’une guerre froide) dévoile un monde de personnages gris et de tractations mystérieuses, de réunions d’hommes ordinaires buvant des whiskys dans des bars aux enseignes de néon ou des chambres d’hôtel aux papiers peints hideux. Un des premiers mérites du film réside, en effet, dans sa façon de plonger la dimension extraordinaire d’un suspense lourd d’enjeux historico-politiques dans la neutralité d’une apparence banale et terne, d’un réalisme presque atone.
Tourné en grande partie à Taïwan, The Spy Gone North devient ainsi une fable sur l’art de la conjuration, le récit d’un complot où les secrets d’Etat se cachent placidement derrière les rencontres les plus familières. Ce que Balzac appelait « l’envers de l’histoire contemporaine » est sans doute le principal sujet du film de Yoon Jong-bin, qui nous plonge dans un monde de pouvoirs occultes et de d’agissements secrets.
Inversion habile du suspense
L’intrigue et le suspense du film mettent de surcroît au jour un scandale : l’existence d’une alliance faussement contre nature peut-être entre l’Etat stalinien de la Corée du Nord et une poignée de politiciens de la droite sud-coréenne, décidés à gagner les élections au prix de la trahison en pariant sur un réchauffement des tensions entre les deux pays.
Yoon Jong-bin nourrit son suspense d’une paradoxale histoire d’amitié entre l’espion et le fonctionnaire nord-coréen qu’il a dupé pendant de nombreux mois. Cas de conscience et inversion habile du suspense et de l’identification du spectateur, où « l’ennemi » se trouve mis, malgré lui, en danger par sa crédulité même. « Dans le but d’obtenir des informations, l’espion se met graduellement à voir avec les yeux de l’autre », a déclaré le réalisateur. The Spy Gone North se transforme ainsi en une fiction politique habile, une méditation sur le pouvoir où la morale se retrouve confrontée à une zone floue d’enjeux politiques et de parcours individuels.
The Spy Gone North témoigne avec talent de la qualité d’un cinéma populaire intelligent et à succès. Il rassembla, le premier week-end de sa sortie, plus de 2 millions de spectateurs en Corée, et confirme les qualités d’un cinéaste découvert, en 2005, avec The Unforgiven, âpre récit sur la violence dans l’armée sud-coréenne.
THE SPY GONE NORTH - Bande-annonce - VOST
Durée : 01:14
Film coréen de Yoon Jong-bin. Avec Hwang Jung (Jeong)-min, Lee Sung-min, Ju Ji-hoon (2 h 21). Sur le Web : www.metrofilms.com/films/spy-gone-north et www.cj-entertainment.com/movie/spy-gone-north