En cas de doute, rien ne vaut de revenir aux fondamentaux. Vendredi 14 décembre, la CGT invite salariés, fonctionnaires, jeunes et retraités à faire grève et à manifester. Une mobilisation que la confédération est de nouveau seule à lancer et qu’elle appelle à poursuivre mardi. Cette journée d’action se veut une réponse aux « gilets jaunes ». Comme l’expliquait son secrétaire général, Philippe Martinez, dans un entretien au Monde (daté 8 décembre), « les ronds-points, c’est bien, mais les grèves en semaine, il faut les faire ».

Pas sûr pour autant qu’il soit entendu. Car le mouvement qui est né il y a plus d’un mois se méfie des politiques, mais aussi des syndicats. Surtout, les « gilets jaunes » ont réussi précisément là où les organisations de salariés, et plus particulièrement la CGT, ont échoué depuis le début du quinquennat : faire reculer le gouvernement sans avoir recours à des arrêts de travail tout en bloquant une partie de l’économie.

A l’opposé de la stratégie de la centrale de Montreuil (Seine-Saint-Denis) qui a multiplié en vain les journées d’action depuis un an et demi. « Ça interpelle profondément les militants de la CGT avec la peur de passer à côté d’un mouvement d’ampleur impliquant en partie les classes populaires, souligne Sophie Béroud, maîtresse de conférences en science politique à l’université Lyon-II. C’est aussi un constat de faiblesse d’un syndicalisme contestataire. »

Débat interne

Au départ, la confédération s’est méfiée de ce mouvement protéiforme et hétéroclite. Elle disait alors comprendre une « colère légitime », mais critiquait une tentative de récupération par l’extrême droite et certains discours non conformes à ses valeurs. Depuis, son positionnement a évolué pour se rapprocher des protestataires et de leurs revendications, qui peuvent recouper les siennes (hausse du smic, rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune…) tout en gardant une distance prudente. Ce qui fait débat en interne.

« Toutes ces personnes qui sont sur les barrages, ce sont les nôtres, des intérimaires, des précaires, des retraités, autant de personnes que le syndicalisme ne touche pas, se désole un ancien responsable de fédération. C’est aussi le reflet de ce qui se passe dans les entreprises : on ne va pas découvrir qu’il y a 20 % de la population qui vote à l’extrême droite. »

La CGT n’a pour autant jamais clairement appelé à manifester aux côtés des « gilets jaunes ». Samedi 15 décembre ne devrait pas faire exception. Certaines structures locales, comme l’union départementale de Paris, estiment, elles, qu’il faut y être. M. Martinez lui-même entretient l’ambiguïté. Le 7 décembre, à la question de savoir si la CGT défilera le samedi, il répond par la négative au Monde mais signe le même jour, aux côtés de Jean-Luc Mélenchon (LFI) ou Olivier Besancenot (NPA), une tribune dans Libération appelant à « manifester pacifiquement » pour le climat et avec les « gilets jaunes ».

Le positionnement de M. Martinez, difficilement lisible ces derniers temps, est le reflet des tensions internes. Avec son homologue de la CFDT, Laurent Berger, le secrétaire général de la CGT a pris la plume pour convier les autres syndicats à se retrouver le 6 décembre. Le rendez-vous a été donné au siège de la confédération de Belleville à Paris. Il a débouché sur une déclaration commune signée par sept syndicats, dont la CFDT et la CGT, qui appelle « le gouvernement à garantir enfin de réelles négociations » et dénonce « toutes formes de violence dans l’expression des revendications ». L’unité syndicale a cependant ses limites : chacun ira avec ses propres propositions.

« Il navigue à la godille »

Cette rencontre provoque des remous à l’intérieur de la CGT. « L’initiative du 6 décembre et le texte qui a suivi ont été désavoués par à peu près tout le monde », assure une source interne. Résultat : à peine la voiture de M. Martinez avait-elle quitté le garage de la CFDT que la CGT envoyait un communiqué pour condamner un gouvernement qui « joue à l’incendiaire social » et faisait savoir qu’elle ne se rendrait pas au ministère du travail le lendemain, où Muriel Pénicaud réunissait les partenaires sociaux. « La CGT ne veut pas servir d’alibi », explique alors M. Martinez au Monde. Ce dernier sera en revanche présent, lundi, au sommet social en présence d’Emmanuel Macron, organisé dans l’urgence par l’Elysée.

« Il navigue à la godille, mais, à sa décharge, ce n’est pas simple, estime Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales. La CGT est une boutique de plus en plus éclatée. Beaucoup de militants sont désorientés dans la période et tous ceux avec un discours sans état d’âme rencontrent un certain succès. » Ces tensions s’expliquent également par la préparation du congrès de la centrale, qui doit se tenir en mai 2019, à Dijon. Entre la gestion de cette crise sociale et une CGT qui vient de céder sa première place de syndicat en France à la CFDT, les prochains mois ne s’annoncent pas de tout repos pour M. Martinez.

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