« Gena Rowlands, actrice et muse par amour » : les yeux dans les yeux
« Gena Rowlands, actrice et muse par amour » : les yeux dans les yeux
Par Renaud Machart
L’interprète d’« Une femme sous influence » est l’objet d’un documentaire délicatement nostalgique.
« Gena Rowlands, un regard qui ne s’oublie pas », dit le commentaire au début du documentaire que Sabine Carbon consacre à la grande actrice nord-américaine, épouse du cinéaste (et acteur) John Cassavetes (1929-1989), avec qui elle tourna sept films, dont l’avant-dernier de celui-ci, Love Streams (Torrents d’amour, 1984).
Mais Gena Rowlands, c’est aussi une chevelure, blonde, opulente, mouvante, serpentine, qui sera sa marque : une large mèche retombant sur un côté du visage, cachant l’œil trop maquillé et humide, le regard qui s’égare dans la folie, les paupières lourdes de la femme vieillissante ou perdue dans l’alcool que cette actrice sublime sut si génialement interpréter.
Et c’est parce qu’elle réussit, alors qu’elle n’avait pas encore 50 ans, à incarner l’affaissement d’un visage dans Opening Night (1978), un de ses rôles les plus extrêmes avec celui d’Une femme sous influence (1974), qu’elle conserve, à 88 ans, ce beau visage où les marques du temps se cachent moins que jamais derrière une mèche.
Alors qu’elle aurait pu devenir une grande vedette d’Hollywood, Gena Rowlands ne le voulut jamais, même si elle collabora avec le système, qu’elle et son époux rejetaient, pour faire de l’argent, s’acheter une villa sur les hauteurs de Los Angeles – où ils tourneront beaucoup de leurs films et qu’ils hypothéqueront pour les financer – et s’offrir le luxe d’un cinéma vraiment indépendant.
Point d’Oscar pour ces rebelles : celui pour lequel elle était nommée, en 1975, à l’occasion de son rôle de (dé)composition mentale dans une Femme sous influence, lui échappera, allant à Ellen Burstyn dans Alicen’est plus ici (1974), de Martin Scorsese. En 2015, ce scandaleux oubli sera réparé par un Oscar d’honneur. La piquante Gena dira : « A l’âge que j’avais, j’aurais dû me mettre à l’haltérophilie pour le soulever… »
Le documentaire de Sabine Carbon est délicatement nostalgique, filmé en grande partie dans la maison que les cinéphiles connaissent, avec ce bar dans le salon – qui ressemble au cocon hors du temps d’un bar d’hôtel – qu’on voit dans Love Streams, au décor presque inchangé. Aux murs, des photos, des affiches des films de Cassavetes avec les titres traduits en plusieurs langues européennes, qui rappellent que le travail du couple fut avant tout apprécié à l’étranger.
Parce qu’il n’essaie pas de percer on ne sait quel mystère, ce film trouve la profondeur en restant léger : Gena et sa collection de foulards, Gena posant pour un ami photographe, Gena retrouvant de vieux amis et collaborateurs des films de John. Le tout ponctué d’images photographiques rares, saisissant ou composant l’instant.
Le deuil de John Cassavetes
Gena Rowlands parle tout de même de son couple : « Parfois, j’ai eu l’envie de le tuer ou de divorcer, mais en fait, on voulait vraiment le même genre de vie. » (John, lui, disait : « Quand je suis avec Gena à Los Angeles, nous sommes un couple ; au cinéma, nous sommes des adversaires. ») Elle assure aussi avoir profité des plus belles années de sa vie avec cet homme qui la brûla par les deux bouts.
Après la mort de John, Gena est passée à autre chose, continuant à tourner au cinéma (notamment avec son fils, Nick Cassavetes), se remariant à un homme d’affaires (en… 2012 !). A propos de la mort de Cassavetes, au très jeune âge de 59 ans, « après une vie faite de démesure », Gena Rowlands dit : « On ne se remet pas de ce genre de deuil, on le traverse. »
Gena Rowlands, actrice et muse par amour, de Sabine Carbon (All., 2017, 55 min). www.arte.tv/gena-rowlands-actrice-et-muse-par-amour