Le Conseil de l’Europe demande à la France de « suspendre l’usage du LBD »
Le Conseil de l’Europe demande à la France de « suspendre l’usage du LBD »
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Pour le commissariat aux droits de l’homme du Conseil, le gouvernement doit revoir « au plus vite » la doctrine d’usage de ces armes.
A plain-clothes police officer holds a 40-millimetre rubber defensive bullet launcher LBD (LBD 40) weapon with an attached camera during an anti-government demonstration called by the "Yellow Vest" movement in Paris on February 23, 2019. "Yellow Vest" protesters take to the streets for the 15th consecutive Saturday. / AFP / Zakaria ABDELKAFI / ZAKARIA ABDELKAFI / AFP
La commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a rendu public, mardi 26 février, un mémorandum adressé aux autorités françaises concernant le maintien de l’ordre lors des manifestations des « gilets jaunes ». Dunja Mijatovic les invite à « mieux respecter les droits de l’homme », à « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense ».
Le lanceur de balles de défense (LBD) est accusé de causer de graves blessures chez les manifestants et la responsable bosnienne demande à Paris de revoir « au plus vite » la doctrine d’usage de ces armes. Elles devraient, provisoirement, ne plus être utilisées, estime Mme Mijatovic, qui invite aussi le gouvernement à publier des données plus détaillées sur les personnes blessées.
Le commissariat aux droits de l’homme est une institution indépendante au sein du Conseil de l’Europe, qui regroupe 47 Etats membres. Implanté à Strasbourg, celui-ci est censé favoriser le respect des droits humains et des règles démocratiques. Le rapport sur le mouvement des « gilets jaunes » a été réalisé d’initiative, à l’issue notamment d’une visite de la commissaire en France, le 28 janvier. Elle a rencontré, entre autres, Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur. Cette note n’a aucune portée juridique.
« Nous jugions nécessaire d’obtenir plus d’informations sur ce vaste mouvement, de longue durée, qui implique un maintien de l’ordre sévère », commente un porte-parole. Des manifestations de masse en Turquie, en Catalogne ou en Ukraine ont déjà fait l’objet d’études semblables.
« Contexte de grande tension »
Paris, France le 2 Fevrier 2019 : Manifestation de Gilets Jaunes entre la place Felix Eboué et la place de la République à Paris. Le cortège rend hommage aux victimes des violences policières. Des affrontements avec les forces de l'ordre ont lieu sur la place de la République, des équipes de policiers en civil interviennent pour disperser les manifestants. / BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »
Mesurant le caractère très sensible du dossier, la commissaire prend soin de préciser qu’elle condamne « fermement » la violence, les propos et les agressions racistes, antisémites ou homophobes de certains manifestants, ainsi que les violences contre des journalistes. Reconnaissant la complexité du maintien de l’ordre « dans un contexte de grande tension et de fatigue », dénonçant les violences contre les policiers et appelant à ce qu’ils soient correctement payés et formés, le rapport rappelle toutefois que « la tâche première des membres des forces de l’ordre consiste à protéger les citoyens et les droits de l’homme ». Mme Mijatovic insiste aussi sur le fait qu’aucune impunité ne doit être admise en matière de violences policières. Et il convient de pouvoir toujours dénoncer celles-ci.
Un appel à « la prudence » est parallèlement adressé aux autorités judiciaires qui devraient montrer « de la retenue » en matière de recours à la comparution immédiate et aux audiences de nuit. Des inquiétude se font jour également à propos des interpellations et placements en garde à vue de personnes souhaitant se rendre à une manifestation sans qu’aucune infraction ne soit finalement relevée, ni aucune poursuite engagée, à l’issue des gardes à vue. « Ces pratiques constituent de graves ingérences dans l’exercice des libertés d’aller et venir, de réunion et d’expression », juge le rapport, estimant qu’elles ne peuvent devenir des outils préventifs du maintien de l’ordre.
A cet égard, le législateur devrait s’assurer que la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations « respecte pleinement le droit à la liberté de réunion ». Une interdiction administrative de manifester constituerait une grave ingérence dans l’exercice de ce droit, estime la commissaire, et il conviendrait de ne pas ériger en délit la dissimulation volontaire « sans motif légitime » de tout ou partie du visage dans, ou aux abords, d’une manifestation.
Nouvelle discussion
Un lanceur de balle de défense de calibre 40 mm, appelé « LBD 40 ». Ici la crosse est repliée, le canon relevé pour changer de munition. / Antoine Schirer / Le Monde
Dans ses recommandations, la commissaire aux droits de l’homme plaide, enfin, contre certaines dispositions de la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des défilés, qui doit revenir devant le Sénat, en seconde lecture, à partir du 12 mars. Les conclusions ont été transmises il y a une dizaine de jours au gouvernement. Celui-ci a décidé d’y répondre rapidement, avant qu’une nouvelle discussion s’engage avec l’organe européen.
Dans un mémorandum de cinq pages consulté par Le Monde, Paris réplique que les dispositifs de sécurité encadrant les manifestations étaient tous conformes aux dispositions légales. Et que la proposition de loi montrée du doigt présente désormais toutes les garanties « de solidité et de sécurité juridique ».
A propos des LBD, le gouvernement conteste l’idée d’une suspension de l’usage de ces armes et rappelle l’avis du Conseil d’Etat, qui a estimé qu’elles sont adaptées lors de manifestations, marquées par « des violences volontaires, des voies de fait, des atteintes aux biens et des destructions ». « Seules les enquêtes de l’IGPN [la police des polices] ou les enquêtes pénales peuvent établir un usage disproportionné de la force », indique aussi la réponse.
A propos des comparutions immédiates – 26 % de l’ensemble des réponses pénales –, c’est « la gravité des troubles » qui a nécessité des réponses judiciaires rapides. Et en ce qui concerne la liberté de réunion, la réplique souligne que le Conseil constitutionnel a admis qu’elle puisse être limitée s’il s’agit de sauvegarder l’ordre public.