Algérie : quelles forces d’opposition face à Bouteflika ?
Algérie : quelles forces d’opposition face à Bouteflika ?
Par Amir Akef (Alger, correspondance)
A quelques semaines de l’élection présidentielle du 18 avril, tour d’horizon des oppositions au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika dans un pays où la contestation prend de l’ampleur.
L’arrêt brutal des élections législatives en janvier 1992 a mis un terme au processus démocratique qu’avait connu l’Algérie après les manifestations d’octobre 1988. L’éclosion d’une vie partisane, avec l’apparition de nouveaux partis et la sortie de la clandestinité d’anciennes formations, en a durement souffert. La guerre civile des années 1990 qui a suivi, puis le verrouillage de la vie politique ont suscité un profond désintérêt pour la politique.
Aujourd’hui, les partis d’opposition sont soit marginalisés, soit contraints de participer à un jeu électoral peu suivi par les Algériens. Couvrant un spectre politico-idéologique assez large, ces formations peuvent, par moments, se retrouver du côté du pouvoir. La liste des partis politiques officiellement agréés est longue mais leur présence, épisodique.
- Le Front des forces socialistes (FFS - gauche démocratique)
Créé en 1963 par Hocine Ait Ahmed, un des leaders historiques de la révolution, opposé à la mise en place d’un régime de parti unique à l’indépendance. Légalisé après octobre 1988, le FFS s’oppose à l’arrêt du processus électoral en janvier 1992 et prône l’élection d’une assemblée constituante. Il a boycotté à plusieurs reprises les élections parlementaires avant d’y participer. Le parti connaît actuellement une grave crise avec l’exclusion de nombreux cadres dont la journaliste Salima Ghezali (prix Sakharov) à qui la direction a reproché une vigoureuse interpellation publique du chef de l’armée, le général Ahmed Gaid Salah.
- Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD - démocrate laïcisant)
Créé après octobre 1988 par d’anciens militants du Mouvement culturel berbère (MCB), il a soutenu l’arrêt du processus électoral en janvier 1992 et apporté son appui à l’armée. Le RCD a eu un début de compagnonnage avec Abdelaziz Bouteflika à son arrivée au pouvoir en 1999 et plusieurs de ses cadres sont devenus ministres, comme Amara Benyounès ou Khalida Toumi. Il est dirigé depuis 2012 par Mohcine Belabbas qui a remplacé Said Sadi. Le RCD est présent au Parlement.
- Le Parti des travailleurs (PT - extrême-gauche)
Fondé en 1990 par d’anciens militants du groupe clandestin l’Organisation socialiste des travailleurs (OST). Dirigé par Louisa Hanoune, le parti, représenté au Parlement, s’est opposé à l’arrêt des élections législatives en 1992. Tout en restant dans l’opposition, le PT a apporté un « soutien critique » au président Bouteflika au nom d’une vision nationaliste et « anti-impérialiste ». Louisa Hanoune qui a défendu le droit de M. Bouteflika d’être candidat en 2014 est contre un cinquième mandat. Elle a apporté son soutien aux manifestations.
Samedi 2 mars, face à l’ampleur de la mobilisation citoyenne, le PT a annoncé qu’il ne présenterait pas de candidat à la présidentielle.
- Jil Jadid - (Générations nouvelles, social-démocrate)
Parti créé en 2011 par Soufiane Djilali. Il s’est opposé au quatrième mandat de M.Bouteflika en 2014 et a joué un rôle important dans la tenue d’une conférence nationale de l’opposition à Mazafran (ouest d’Alger) qui a donné naissance à une Coordination pour les libertés et la transition démocratique (CLTD). Jil Jadid est très actif dans le mouvement Mouwatana qui regroupe des organisations politiques et des membres de la société civile opposés au cinquième mandat.
- Le Mouvement de la société pour la paix (MSP - islamiste tendance Frères musulmans)
Créé en 1990, le MSP (qui s’appelait alors le Hamas) ne s’est pas opposé à l’arrêt du processus électoral en janvier 1992, ce qui lui a valu de fortes inimitiés au sein de l’électorat de l’ex-Front islamique du Salut (FIS). Le MSP a participé au gouvernement dans le cadre d’une alliance présidentielle de soutien à M.Bouteflika. En 2013, Abderrezak Makri remplace Aboudjerra Soltani à la tête du parti et se place dans l’opposition. M. Makri est candidat à la présidentielle d’avril 2019 et a appelé M. Bouteflika à renoncer à un cinquième mandat. Deux autres petits partis islamistes sont également présents : le Mouvement pour la réforme nationale et le Mouvement de la Renaissance Islamique (Harakat El Nahda).
- Le Front islamique du salut (FIS - dissous)
Que représente le Front islamique du salut (FIS), créé en 1989, qui avait remporté les premières élections législatives libres en décembre 1991 avant d’être dissous en mars 1992 par décision de justice ? C’est la question, sans réponse, qui fâche. Les anciens dirigeants du parti sont interdits d’activité politique. Cette interdiction touche de fait même les anciens militants qui n’ont fait l’objet d’aucune condamnation par la justice. Ali Benhadj, libéré après avoir purgé une longue peine de prison, est constamment surveillé par les policiers qui l’empêchent d’agir. Mais ses discours, diffusés sur Youtube, montrent qu’il conserve une certaine popularité.
- Talaie Al Houriyate (Avant-gardes des libertés)
Le parti d’Ali Benflis a été créé en 2015. Ce dernier a été secrétaire général du FLN. Il a été directeur de campagne de Bouteflika en 1999 avant de devenir chef du gouvernement. Limogé en 2003, il entre alors en opposition au président Bouteflika et sera à deux reprises son adversaire à l’élection présidentielle en 2004 et 2014. Pour beaucoup, il a joué, malgré lui, le rôle de lièvre lors de ces deux scrutins. M. Benflis n’a pas encore tranché sur sa participation ou non à l’élection présidentielle du 18 avril.
- Rachid Nekkaz
Né en 1972 à Villeneuve-Saint-Georges, en France, il s’est fait connaître grâce à une utilisation intensive des réseaux sociaux et à un discours contre la corruption qui lui valent une grande popularité. En 2014, il a renoncé à sa nationalité française pour être candidat mais n’a pu collecter le nombre nécessaire de signatures de parrainage (60 000). Il a lancé un Mouvement pour la jeunesse et le changement (MJC) qui n’est pas agréé. Certaines dispositions de la loi électorale (dont le fait d’avoir résidé de manière continue dans le pays durant les dix dernières années) l’éliminent de la course à la présidentielle. Mais Rachid Nekkaz a démontré que les réseaux sociaux qu’il utilise avec brio constituent aujourd’hui l’un des principaux vecteurs de la contestation du régime.
Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie
Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies a poussé des dizaines de milliers d’Algériens dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika avant l’élection présidentielle prévue le 18 avril 2019.
Retrouvez ci-dessous les contenus de référence publiés par Le Monde pour comprendre la crise qui traverse le pays :
- Dans le sud de l’Algérie, Ouargla la contestataire : reportage dans cette région riche en hydrocarbures dont les habitants sont en colère contre le pouvoir.
- Le rôle des réseaux sociaux : comment les youtubeurs et les millions de vues de leurs vidéos jouent un rôle dans la mobilisation.
- Le pétrole, une rente qui s’essouffle : l’Algérie souffre de la chute du cours du baril et d’un manque de diversification industrielle.
- Vu de France : la diaspora algérienne, enthousiaste ou désabusée, suit de près les manifestations anti-Bouteflika.
- Entretien avec l’historienne Karima Dirèche : « Le régime a surestimé la patience du peuple »
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