Un projet de loi visant à imposer les grandes entreprises du numérique, en particulier les GAFA  (Google, Apple, Facebook et Amazon), sur leur chiffre d’affaires a été présenté, mercredi 6 mars, en conseil des ministres. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Editorial du « Monde ». La chasse aux profits des géants du Web est ouverte et la France a décidé de tirer un premier coup de semonce. Un projet de loi visant à imposer les grandes entreprises du numérique sur leur chiffre d’affaires a été présenté, mercredi 6 mars, en conseil des ministres. Cette mesure ouvre enfin la voie à une fiscalité qui a pour ambition de déjouer les stratégies d’optimisation fiscale de ces sociétés.

Pendant des années, celles-ci ont soustrait au fisc français plusieurs milliards d’euros en profitant du dumping fiscal auquel se livrent les membres de l’Union européenne (UE). Grâce à des artifices comptables et à des cascades ingénieuses de filiales basées dans des pays aux taux d’imposition attrayants (Irlande, Luxembourg), ces géants de l’Internet ont systématiquement délocalisé leurs profits en créant une déconnexion entre l’activité générée et les bénéfices déclarés localement. Les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) paient ainsi en moyenne 14 points d’impôts de moins qu’une entreprise française traditionnelle.

Il était indispensable que le gouvernement prenne l’initiative face à une situation qui, tout en sapant le consentement à l’impôt, prive l’Etat de précieuses recettes budgétaires, alors que ces entreprises profitent pour se développer des ressources et des infrastructures financées par le contribuable. « Les grandes entreprises qui font du profit en France doivent y payer l’impôt », avait prévenu Emmanuel Macron, dans son allocution du 10 décembre 2018, en pleine crise des « gilets jaunes », avant d’appeler, dans sa tribune du 4 mars, publiée dans les pays de l’UE, au « juste paiement de l’impôt ».

Vives critiques du lobby du numérique

Même si l’initiative bénéficie d’un large consensus dans l’opinion publique, elle fait l’objet de vives critiques du lobby du numérique, qui voudrait nous faire croire que la France se distingue une fois de plus par sa créativité fiscale et sa propension à taxer tout ce qui bouge. Mais c’est oublier que le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, la Belgique, l’Australie ou l’Inde se sont engagés sur la même voie.

Certains reprochent à la taxe d’être un contresens économique, de réduire l’attractivité de la « start-up nation », de dissuader l’investissement et le développement des acteurs français, tout en incitant les GAFA à répercuter le poids de la taxe sur le consommateur final. Au-delà des jérémiades classiques de ceux qui sont réticents à toute forme d’impôt, on attend encore leurs propositions pour que les géants du numérique payent enfin leur juste dû. La cote est peut-être mal taillée, mais voilà des années que les Etats cherchent la solution miracle sans résultat. L’UE elle-même vient d’échouer à trouver un consensus sur le sujet, malgré le soutien de 23 membres sur 27. Mieux vaut un volontarisme désordonné que des atermoiements compassés, de moins en moins tolérés par l’opinion publique.

Le rendement de cet impôt s’annonce modeste – environ 500 millions d’euros de recettes annuelles à partir de 2020 – et son recouvrement compliqué. N’empêche, cette taxe GAFA a le mérite de faire avancer un débat qui n’aura de sens qu’à l’échelon planétaire. Un accord de principe vient d’être signé par 127 pays, représentant 90 % de l’économie mondiale, afin de définir une fiscalité adaptée à l’ère du numérique. Au regard de l’influence des GAFA et des positions oligopolistiques que ces entreprises se sont arrogées à une vitesse fulgurante, il est grand temps que les Etats reprennent la main. Le processus ne fait que commencer.