Cinq romans « young adult » français à l’occasion du salon Livre Paris
Cinq romans « young adult » français à l’occasion du salon Livre Paris
Par Pauline Croquet
La littérature adolescente regorge de blockbusters anglophones, mais les auteurs français ne sont pas à la traîne dans ce registre littéraire.
C’est la seconde année que le salon Livre Paris, qui se tient du vendredi 15 au lundi 18 mars Porte de Versailles, consacre un espace à la littérature adolescente. Si les stands des éditeurs fourmillent de classiques comme Harry Potter, Divergente ou Hunger Games, tous de prose étrangère, les auteurs français sont également prolixes et revendiquent de plus en plus leur incursion dans les rayons « young adult » (« jeune adulte »).
Cinq livres ont particulièrement marqué nos lectures dans les sorties du début de l’année.
« La Dernière Marée » : la fin de l’insouciance
Un amour de vacances vécu dans une atmosphère de fin du monde. Résumer ainsi ce premier roman d’Aylin Manço ne serait pas complètement lui rendre justice. Car les quinze jours que va vivre l’héroïne, Elo, à Citéplage, une station balnéaire française que l’auteure parvient par petites touches à faire ressembler à n’importe quelle autre, sont une véritable charnière initiatique dans sa vie de jeune femme.
Cette année-là, sur ce lieu de vacances familiales, la mer n’est plus la même. Depuis quelques mois, les flots refluent, aspirés par un gigantesque trou au large. Les marées sont mortes, l’eau quasiment disparue. Cet élément immuable, si banal dans le paysage du repos estival, avec ses glaces dégoulinantes, ses serviettes élimées et ses mouettes, brille par son absence et donne aux promenades bétonnées de la petite station côtière des allures de décor postapocalyptique. Les touristes ont déserté. Seuls restent les vieux et les habitués.
La mer, c’est aussi le fil ténu qui lie Elo et sa mère, ancienne grande nageuse, plongée dans une certaine torpeur après la catastrophe naturelle. C’est désormais un papa aimant mais un peu à côté de la plaque qui tente de faire le lien. Sans succès. Comment se tourner vers l’avenir quand les souvenirs et les sentiments sont aspirés dans le siphon géant en même temps que les eaux et animaux marins ? Comment faire quand la pesanteur a remplacé l’insouciance ? Elo ne pourra compter cet été que sur elle-même. Et sur Hugo, voisin de vacances providentiel et facétieux, qui, lui, voit la mer pour la première fois. Un récit intense sur la fugacité et la fragilité de ce que l’on croit immuable.
La Dernière Marée, d’Aylin Manço (Talent hauts, 224 p., 15 euros), dès 13 ans.
« Celle qui marche la nuit » : frissons et introspection
« Celle qui marche la nuit », de Delphine Bertholon. / ALBIN MICHEL
Sur écran, les productions françaises arrivent rarement à s’emparer des récits de genre, notamment lorsqu’il s’agit de surnaturel. Ce qui n’est pas le cas en littérature adolescente dont le fantastique abreuve la prose. La romancière Delphine Bertholon en livre un superbe exemple avec Celle qui marche la nuit, raconté comme un journal intime se déroulant sur un mois d’été.
Malo et sa famille, « bobos parisiens » comme l’adolescent les décrit, s’installent dans la campagne nîmoise, dans une vieille maison à rénover inhabitée depuis longtemps. Le sentiment d’inhospitalité ne tient pas aux papiers peints délavés et au manque de voisins dans les parages. Malo remarque que sa petite sœur se comporte bizarrement depuis qu’ils sont arrivés à Cabrières. Ses explorations solitaires des alentours et les quelques rencontres qu’il va faire vont le mettre sur la piste d’un drame.
Difficile ici d’oublier l’influence de Stephen King ou d’éviter les croyances populaires sur les fantômes. Mais le fait d’implanter le récit dans un cadre français et plus familier rapproche le lecteur. Avec un talent certain pour parvenir à faire frissonner, grâce aux ambiances et aux suggestions, tout en incorporant une introspection adolescente à propos de la famille. A ne pas lire seul le soir si on est sensible.
Celle qui marche la nuit, de Delphine Bertholon (Albin Michel, 240 p., 13,50 euros), dès 13 ans.
« L’Enchanteur » : fresque fantastique
« L’Enchanteur », de Stephen Carrière. / PKJ
Dans la fiction adolescente, la bande de copains inséparables est canonique. Dans ce tout premier roman « young adult », l’éditeur Stephen Carrière ne la réinvente pas, mais il parvient à la sublimer en travaillant les codes du fantastique et de la frénésie collective dans une aventure de jeunes provinciaux français.
Une bande qui gravite autour de son soleil : Stan, aussi appelé « l’Enchanteur » car il est capable de résoudre n’importe quel problème d’un camarade en échange d’un service. Une sorte de pyramide de Ponzi de miracles et bons plans. Bien qu’il en tire une certaine aura, l’adolescent n’a qu’un seul objectif : offrir à Daniel, son ami mourant, un crépuscule spectaculaire, digne des comédies musicales que le malade affectionne tant.
Bien au-delà du bras d’honneur adressé à la mort, l’Enchanteur, flanqué de Moh, David et Jenny – aussi brillants que leur astre –, va devoir sauver la ville d’un mal rampant et vicieux. Une ode à l’amitié réjouissante, mâtinée de fantasy et de chronique sociale. Seul bémol dans la belle orchestration : les traits parfois forcés et spectaculaires de ces héros ordinaires.
L’Enchanteur, de Stephen Carrière (PKJ, 416 p., 18,50 euros), dès 13 ans.
« Un si petit oiseau » : en reconstruction
« Un si petit oiseau », de Marie Pavlenko. / FLAMMARION
Avec ses romans pour adolescents, Marie Pavlenko explore toujours avec autant de force la manière dont on surmonte les traumatismes. Dans Je suis ton soleil (Flammarion jeunesse, prix Cultura 2017), l’écrivaine mettait en scène une Déborah faisant face, en pleine année du bac, à l’adultère et à la séparation de ses parents, oscillant entre souffrance étouffée et second degré en béton armé.
Un si petit oiseau, lui, s’ébauche autour de la colère retenue, du deuil et de la reconstruction d’Abigail, 20 ans, amputée à la suite d’un accident. En une année, la famille va s’étioler puis se reformer autour de cette fille écorchée. L’auteure esquisse sans lamentation le quotidien et les relations sociales bouleversés de son héroïne.
Une vie d’abord réduite à l’existence, ponctuée par les regrets, dominée par le syndrome du membre fantôme. Mais l’horizon d’Abi va s’élargir lorsqu’elle recroisera un ami d’enfance qui va lui faire partager sa passion pour les oiseaux. Elle va aussi trouver du réconfort dans les écrits de Blaise Cendrars, revenu sans bras droit de la Grande Guerre. Malgré la dureté des événements affrontés par son personnage, la plume est belle et souple, souvent facétieuse, s’appesantissant seulement sur les nervures du cœur. Un roman généreux et difficile à reposer.
Un si petit oiseau, de Marie Pavlenko (Flammarion jeunesse, 352 p., 17,50 euros), dès 13 ans.
« Ctrl + Alt + Suppr » : work in progress
« Ctrl+Alt+Suppr », de Bertrand Puard. / CASTERMAN
Ce n’est pas encore un roman que propose, depuis vendredi 15 mars, l’écrivain Bertrand Puard, largement remarqué dans le thriller adolescent pour sa saga Les Effacés (Hachette). Il le sera à terme. Pour l’instant, l’auteur a partagé sur Internet un premier épisode de sa prochaine œuvre, Ctrl + Alt + Suppr, qui met en scène les aventures de Zéphyr, un ado français qui se voit léguer à la mort de sa grand-mère une entreprise secrète qui lutte contre les fausses informations et le conspirationnisme. Un destin parallèle à ceux de Lisa, programmeuse et spécialiste du dark Web, et Selma, héritière d’un empire technologique de la Silicon Valley.
Pendant huit semaines chaque vendredi, l’auteur va proposer une nouvelle étape rédigée de son roman en ligne et la soumettre à la discussion des internautes, sur le compte Instagram de son éditeur, Casterman. Ainsi, à l’issue de ce premier épisode, les lecteurs et lectrices peuvent voter et discuter en ligne avec le romancier pour déterminer si le prochain épisode sera consacré encore une fois à Zéphyr, ou plutôt à Lisa. Nombre de lecteurs de « young adult » ont l’habitude de débattre sur les réseaux sociaux ; beaucoup de romans du genre doivent leur succès au bouche-à-oreille sur Internet, si bien qu’il n’est pas incongru pour un auteur d’aller chercher la collaboration des fans.
La démarche empruntée aux « livres dont vous êtes le héros » laisse quelque peu sceptique. Les internautes auront-il vraiment une influence sur le rendu final du roman ? Bertrand Puard feuilletonne-t-il surtout pour mieux créer l’attente ? Soumet au vote seulement un ordre de passage ? L’éditeur prévient : l’intégralité du livre ne sera pas dévoilée en ligne. Toutefois, les prémices de l’intrigue sont encourageantes : exploiter les mythes des sociétés secrètes et de l’espionnage, la lutte contre le bien et le mal à l’heure des infox et du pugilat envers les réseaux sociaux est prometteur. Avec, en point final de ce chapitre, suffisamment de suspense pour agripper les lecteurs.
Pour lire et participer : https://www.casterman.com/Jeunesse/Actualite-Agenda/Ctrl-alt-suppr