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Spécialiste du Yémen, notre journaliste Louis Imbert a répondu aux questions des internautes à l’occasion des quatre ans du conflit.

Victor : Cette guerre semble assez peu visible pour l’opinion. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Louis Imbert : C’est en partie par manque d’accès. Il demeure difficile pour les journalistes de se rendre au Yémen, à cause des restrictions imposées par la coalition saoudienne. L’Etat français, qui constate l’enlisement de l’intervention de son allié saoudien dans le pays, s’est par ailleurs peu saisi publiquement et diplomatiquement du sujet. Les organisations humanitaires, en revanche, ne cessent d’alerter sur un conflit meurtrier, et l’une des plus graves crises humanitaires au monde.

Lou : Pouvez-vous expliquer quels sont les intérêts des Saoudiens au Yémen ?

Riyad est entré en guerre en mars 2015, en partie pour des raisons internes. Le roi Salman venait d’arriver sur le trône : il affirmait vouloir ranimer une politique étrangère saoudienne assoupie, et mieux lutter contre l’expansion de l’influence de son grand rival régional, l’Iran. Son fils, Mohammed Ben Salman, était un ministre de la défense peu connu, alors seulement deuxième dans l’ordre de succession : la guerre a fait de lui un personnage incontournable, en quelques jours.

Riyad craignait la prise de contrôle par la rébellion houthiste de Sanaa, en septembre 2014. A sa frontière sud, l’Arabie saoudite avait affronté ces rebelles dès la fin des années 2000 et craignait l’influence, alors encore limitée, de l’Iran sur ce groupe chiite. Paradoxalement, c’est l’intervention militaire de Riyad qui les les a approchés, et a offert une influence durable à l’Iran au Yémen.

Lire notre entretien avec Younès Abouyoub : « Riyad a transformé la crise yéménite en conflit régional »

PM : Il paraît que 20 millions de personnes (sur 27) ont besoin d’aide humanitaire. Confirmez-vous ce chiffre ?

Bonjour, c’est un chiffre un peu vague mais réel. Le Yémen est le pays le plus pauvre du monde arabe. Dès avant la guerre, il dépendait à 80 % de ses importations pour son alimentation. Les taux de malnutrition et de mortalité infantile y étaient déjà élevés.

La guerre au Yémen tue en réalité moins sur les fronts, par les bombardements aériens de la coalition, que par le désordre généralisé. Nombre de fonctionnaires du Nord rebelle n’ont pas été payés depuis 2016, tous les prix ont grimpé, en partie du fait du blocus partiel imposé par la coalition aux ports du pays, en partie aussi du fait de la multiplication des points de contrôle de divers groupes armés sur les routes. Une économie de guerre s’est installée.

L’essence coûte trop cher : on ne se déplace plus. Les marchés sont achalandés mais on n’a plus les moyens de s’y fournir. Des cousins sans emplois en ville rejoignent les villages et s’y entassent. Les centres de soins disparaissent ou sont trop loin. C’est un cercle vicieux.

Ahmed : Quelles sont les estimations les plus crédibles du bilan humain de ce conflit (morts, déplacés, conséquences humanitaires…) ?

Un chiffre, « 10 000 morts » a beaucoup été répété après un peu plus d’an de conflit. Il s’est imposé, faute d’autres mesures fiables, comme un point de référence, alors que de fait, le conflit faisait encore des victimes directes. Ne serait-ce qu’à Marib, dans le grand est du pays, un cimetière militaire ouvert après le début du conflit comptait des milliers de tombes lorsque je m’y suis rendu, en 2017. Ce n’est pourtant pas la région où les fronts sont les plus meurtriers.

Plusieurs estimations, toutes insatisfaisantes comme dans la plupart des conflits, ont depuis été avancées. La plus haute est celle de l’organisation indépendante Acled : 60 000 morts depuis 2016 (ils n’ont pas de données pour la première année). Elle se base en bonne partie sur des rapports de presse. C’est vague, mais cela reste au moins réaliste, pour nombre d'experts.

A Hodeidah, dans le nor du Yemen, le 25 mars. / ABDULJABBAR ZEYAD / REUTERS

PV : Pourquoi les puissances mondiales n’interviennent pas et ne communiquent pas ?

Des négociations ont repris sous l’égide de l’ONU, fin 2018 à Stockholm, en Suède. Elles s’étaient closes sur une note d’optimisme : un accord limité, local, destiné à démontrer la bonne volonté des acteurs avant de poursuivre avec des négociations plus politiques.

Les houthistes devaient évacuer le port d’Hodeïda, le premier du pays, assiégé par la coalition, qui entendait le prendre par la force, au risque de détruire les installations. Mais les rebelles ne sont pas partis. Ils exploitent les zones de flou laissées par les négociateurs de l’accord. Ils attendent un accord sur la gestion de la banque centrale et de ses fonds, qui ne vient pas. Entre-temps, ils se renforcent militairement dans le port. Ils gagnent du temps.

Tout le monde gagne du temps. La coalition elle aussi, puisqu’elle était sous la pression de ses alliés occidentaux pour négocier fin 2018, à la suite de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul. Elle respire aujourd’hui un petit peu mieux. Cela ne veut pas dire que les négociations lancées par l’ONU sont mortes, mais elles peinent à se relancer.

Lors d’une manifestation pour marquer les ans du début de la guerre au Yémen, à Sanaa, le 26 mars. / MOHAMMED HUWAIS / AFP

Hoda : Pourquoi ne pas avoir répondu aux houthistes (qui ne représentent pas la majorité des yéménites) par des accords politiques et économiques dès le début des hostilités ?

C’est la grande faute de l’Etat yéménite, qui a mené contre eux six guerres sanglantes durant les années 2000, dans le nord du pays, dans la province de Saada et ses environs, sans parvenir à les réduire militairement. Au contraire : la violence a poussé des milliers de Yéménites dans leurs rangs. L’Arabie saoudite devra déjà intervenir dès 2009, alors que l’Etat central perd pied.

Après le printemps 2011, et la chute du président Ali Abdallah Saleh, les houthistes ont rejoint le processus de transition politique avec les autres forces yéménites, et s’y sont révélés constructifs. Dans le même temps, ils ont affermi leur position militaire dans le Nord, et ont commencé à disposer leurs forces autour de la capitale, Sanaa. Fin 2014, lorsque la transition politique s’est écroulée, ils l’ont prise sans aucune difficulté. L’entrée en guerre de l’Arabie saoudite, ses bombardements aériens indiscriminés, son blocus partiel, n’ont fait que les renforcer, comme l’Etat l’avait fait dans les années 2000.

Comprendre les origines de la guerre et l’état catastrophique du Yémen
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