La réforme du calcul des APL est de nouveau repoussée
La réforme du calcul des APL est de nouveau repoussée
Par Isabelle Rey-Lefebvre
Le gouvernement comptait économiser 100 millions d’euros par mois, à partir d’avril 2019.
Le gouvernement cherche à réduire le plus possible la part du budget consacrée aux aides personnelles au logement et a inscrit, dans le budget 2019, la somme de 13,1 milliards d’euros, soit déjà 2,4 milliards d’euros de moins qu’en 2017.
Depuis deux ans, il multiplie les coups de rabot : baisse de 5 euros de l’aide personnalisée au logement (APL) à partir d’octobre 2017 (325 millions d’euros économisés) ; puis baisse de l’APL versée aux seuls locataires HLM, avec prise en charge par les bailleurs sociaux (800 millions d’euros en 2018, 900 millions cette année et peut-être 1,5 milliard d’euros à partir de 2020) ; sous-indexation des montants de l’APL en 2019, à 0,3 % d’augmentation alors que l’inflation est près de 2 % (170 millions d’euros) ; suppression de l’APL pour les accédants à la propriété (50 millions d’euros en 2018, 70 millions d’euros en 2019).
Toujours en 2019, le gouvernement voulait mettre en œuvre l’imprononçable « contemporanéisation » des APL, c’est-à-dire leur calcul en fonction des ressources perçues par les allocataires le trimestre précédent, pas deux ans plus tôt comme c’est le cas aujourd’hui. « C’est une réforme juste, plaide Julien Denormandie, ministre du logement, car l’APL va ainsi suivre de près l’évolution des revenus. » « Il s’agit, en réalité, d’une mesure d’économie budgétaire pure et dure, qui fait gagner à l’Etat 1,2 milliard d’euros en année pleine, soit 100 millions chaque mois », rectifie Philippe Dallier, sénateur (LR) de Seine-Saint-Denis).
Cette réforme fera certes des gagnants, par exemple les allocataires qui réduisent leur temps de travail, donc leurs ressources, et dont l’APL sera revue à la hausse ; mais aussi beaucoup de perdants, au moins 600 000, dont les entrants dans la vie active, étudiants et jeunes travailleurs, qui bénéficiaient, jusqu’ici, la première année, d’une APL forte calculée sur des ressources nulles, un coup de pouce bienvenu en début de carrière.
Mise en œuvre complexe
Pour ne pas pénaliser les allocataires dont les ressources baissent, le mode actuel de calcul des APL prend déjà en compte nombre d’événements : le chômage, par exemple, déclenche un abattement automatique immédiat de 30 % des ressources, donc une hausse de l’aide ; l’arrivée d’un enfant est comptée dès le mois suivant… Mais si les ressources augmentent, cela ne sera visible que deux ans après et c’est sur ce paramètre que le gouvernement compte faire des économies.
La contemporanéisation devait entrer en vigueur dès ce mois d’avril et faisait espérer au gouvernement une économie de 900 millions d’euros en 2019. Elle a déjà été repoussée deux fois, en juillet puis en septembre, et le sera peut-être même début 2020, comme, d’ailleurs, l’avaient prédit les techniciens de la Caisse d’allocations familiales, l’organisme distributeur, qui savent que sa mise en œuvre est complexe. Il faut, en effet, aller chercher dans plusieurs bases de données toutes les informations sur les ressources des bénéficiaires : salaire, retraite, pensions, indemnités de chômage. Quant aux travailleurs indépendants, autoentrepreneurs et professions libérales, dont les déclarations sont annuelles, ils restent à l’écart de la réforme.
Il faudra donc beaucoup de pédagogie pour faire comprendre aux allocataires ce nouveau mécanisme responsable de brusques variations de leur aide personnelle d’un trimestre à l’autre. La réforme est peut-être « juste » dans le sens de « justesse », avec un calcul qui colle mieux à la réalité, mais sans doute pas empreinte de « justice » en ce qu’elle introduit de la précarité, une volatilité du droit à être aidé et un manque de visibilité financière dans le budget, par essence déjà très serré, des ménages éligibles à l’APL.