Prison ferme pour deux fausses victimes des attentats du 13-Novembre
Prison ferme pour deux fausses victimes des attentats du 13-Novembre
Par Cécile Bouanchaud
Le gérant du restaurant Casa Nostra, déjà condamné pour avoir vendu une vidéo des attaques, et une ancienne victime de l’attentat du RER de 1995, ont été directement incarcérés.
Ils sont partis du tribunal correctionnel de Paris comme ils sont arrivés, l’air hagard et le pas lourd. Surtout, ils sont partis menottés, direction Fleury-Mérogis, où ils passeront leur première nuit en prison. Visés par deux procédures distinctes, Yann Abdelhamid Mohamadi, le gérant du restaurant Casa Nostra, et Serge Dieujuste, victime de l’attaque de 1995 à la station de RER Saint-Michel, comparaissaient mardi 9 avril pour avoir chacun tenté d’escroquer le fonds d’indemnisation des victimes en prétendant avoir été sur les lieux lors des attentats du 13 novembre 2015.
Le tribunal correctionnel de Paris les a condamnés à deux ans de prison, dont un avec sursis. Depuis les attentats du 13-Novembre, une quinzaine de dossiers de fausses victimes ont été ainsi jugés. Ces histoires mettent souvent en lumière des personnalités aux fragilités psychologiques évidentes, qui cèdent à l’appât du gain.
Le premier à raconter son histoire à la barre est Serge Dieujuste, carrure solide, parole hésitante. A l’instar de nombreux usurpateurs du statut de victime du 13-Novembre, cet artisan en dépannage informatique de 44 ans a d’abord livré aux policiers un récit circonstancié de cette soirée où trois terroristes ont fait irruption sur les terrasses des 10e et 11e arrondissements de Paris, laissant derrière eux de nombreuses victimes.
« Les tirs de kalachnikov »
Dans sa plainte déposée le 2 décembre à la brigade criminelle, le quadragénaire revient sur son dîner au Petit Cambodge, installé devant les fenêtres de l’établissement, où il assiste au début de l’assaut. Il décrit alors aux policiers « la voiture noire qui s’arrête devant le restaurant », « les pneus qui crissent », « les hommes en noir » et « les tirs de kalachnikov ». Surtout, il évoque « le regard suppliant de cette jeune femme », agonisant sous ses yeux.
Une version qu’il répétera devant le juge d’instruction, quelques mois plus tard, en avril 2016, apportant des détails inattendus à son récit, comme une description physique du serveur, où le plat qu’il avait commandé ce soir-là – du porc au caramel. A l’époque de cette audition devant un juge d’instruction, le Petit Cambodge a rouvert depuis un mois, et M. Dieujuste en a profité pour glaner des informations sur l’attentat, s’enquérant notamment auprès d’un serveur de l’éventuelle présence de caméras de surveillance. Une précaution qui ne l’empêchera pas d’être démasqué.
Au terme d’une enquête de plusieurs mois, qui a mobilisé de nombreux moyens, « la version de M. Dieujuste est anéantie », résume l’une des juges. Sa femme et son cousin reconnaissent avoir menti en déclarant qu’il était présent sur les lieux de l’attaque. Les employés du restaurant assurent que M. Dieujuste ne s’est jamais installé à la table 70, devant la fenêtre. Les rescapés, tous interrogés, ne le reconnaissent pas. Les analyses téléphoniques révèlent que son portable bornait chez lui le soir des faits.
Acculé, ce chauffeur VTC, qui avait fait l’objet d’un article dans Le Monde, où il se plaignait de ne pas être indemnisé par le fonds pour les victimes, reconnaît qu’il a menti. « Le 13 novembre 2015, M. Dieujuste a passé une soirée extrêmement tranquille, à regarder le match de foot dans son canapé, pendant que la France connaissait l’attentat le plus tragique de son histoire », résume Me Olivier Saumon, l’avocat de la partie civile.
Détresse psychologique et financière
M. Mohamadi, lui, buvait un verre avec un ami quand l’attaque a eu lieu dans son restaurant. Dans son cas, l’enquête a été moins laborieuse : déjà condamné pour avoir vendu une vidéo de l’attaque dans son établissement parisien, le prévenu avait confirmé à l’époque être arrivé peu après sur les lieux de l’attentat. Pourtant, devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, l’homme de 46 ans répète inlassablement qu’il était « dans la cave » de son restaurant au moment des faits.
« Pourquoi avoir dit au début que vous n’étiez pas sur place ? », « Pourquoi avoir attendu deux ans pour porter plainte ? », « Pourquoi avoir demandé de l’argent ? », interrogent les juges, faisant face à un prévenu rendu apathique par les médicaments, ponctuant toutes ses réponses par « je ne sais pas », ou « je ne me souviens pas ».
Son avocat, Me Jeffrey Schinazi, avance alors une explication : son client a été « dévasté par la médiatisation de l’affaire de la vidéo du Casa Nostra ». M. Mohamadi abonde laborieusement en son sens, confiant notamment « avoir été victime d’une agression », avant d’évoquer « la chute de 50 % » de ses recettes. Derrière cette détresse psychologique se fait jour une détresse financière : M. Mohamadi cumule près de 200 000 euros de dettes.
Si le premier prévenu n’a pas fait état de difficultés financières, le « but financier » a également émaillé son audience. En tant que victime de l’attentat de 1995 dans le RER, M. Dieujuste a touché près de 140 000 euros d’indemnisation. Réfutant les soupçons de tentative d’escroquerie, M. Dieujuste a affirmé « avoir seulement voulu porter l’attention sur [lui] », ne s’estimant « pas suffisamment entouré », en tant que victime de l’attentat de 1995.
« Je me rends compte que j’ai fait quelque chose de très grave, je suis vraiment désolé », poursuit celui qui a été hospitalisé à deux reprises après le 13-Novembre, expliquant avoir « revécu l’attaque du RER », durant laquelle il avait été superficiellement touché à la tête.
Dans les deux dossiers, l’avocat des parties civiles, Me Olivier Saumon, a estimé que les prévenus avaient chacun « mis en place une machination exceptionnelle » dans le but d’être indemnisés. Un avis appuyé dans le réquisitoire du procureur, qui a rappelé « l’insistance » de M. Dieujuste pour percevoir de l’argent du fonds de garantie. Et évoqué, dans le cas de M. Mohamadi, « le précédent important que constitue l’affaire de la vidéo vendue ».
Dans des plaidoiries qui n’ont pas convaincu, les conseils des prévenus ont mis en avant les troubles psychologiques de leurs clients, réfutant toute tentative d’escroquerie. Me Schinazi, qui s’est attaché à décrire la démarche « pas structurée, pas crédible » du gérant du Casa Nostra, avait d’ailleurs réclamé, sans succès, une expertise psychiatrique. Il a annoncé à la presse sa volonté de faire appel.