« Sauver la forêt de Vohibola ne tient qu’à la détermination du gouvernement malgache »
« Sauver la forêt de Vohibola ne tient qu’à la détermination du gouvernement malgache »
Par Alexandre Poussin
Le millier d’hectares, qui abrite la plus petite grenouille du monde, est menacé par la production illégale de charbon. A l’instar des autres forêts primaires de Madagascar.
« Stumpffia vohibolensis », la plus petite grenouille du monde, vit dans les forêts primaires de Madagascar et mesure à peine plus de 1 cm. / Alexandre Poussin
Tribune. Ici point de houille, de sidérurgie, d’empires qui s’affrontent à coups de canon. Point de tronçonneuses, ni de multinationales prédatrices, de grands propriétaires terriens avides de monocultures, d’hommes politiques véreux vendant leur âme à la Chine. C’est une guerre lente, sans éclats, entre de pauvres hères et les frondaisons des dernières forêts primaires de Madagascar, mue par l’impérieuse nécessité de nourrir leurs enfants. Madagascar carbure au charbon de bois.
On peut rétorquer, par salves : et le gaz, l’électricité, les réchauds à pétrole ? Ecrans de fumée. La réalité, c’est que 28 millions de personnes cuisinent au charbon de bois. Deuxième salve : mais le bois, c’est renouvelable ? Pas encore ici. Les sapeurs solitaires s’attaquent aux dernières forêts primaires, les jeunes plantations n’arrivent pas à maturité, quand elles voient seulement le jour. Leur ressource ce sont les forêts gratuites, publiques, offertes par mère Nature, Dieu, Zanahary. Alors les forêts reculent sous les assauts de millions de charbonniers qui n’ont que ça pour vivre.
Faire reculer la pauvreté
Le front n’est pas uni. L’ennemi ne peut pas se combattre en une guerre éclair, car il faudrait pouvoir faire reculer la pauvreté. Or celle-ci ne fait que croître. Au sommet de la pyramide, les commanditaires de cette destruction massive savent en tirer profit. Ils envoient leurs régiments de sapeurs en une noria que rien ni personne ne peut arrêter.
Nous sommes des témoins extérieurs, mais engagés, qui rêvons de forêts primaires et de biodiversité protégée. Depuis 2016, nous tentons de préserver la dernière forêt littorale de la côte est de Madagascar, la forêt de Vohibola, un timbre-poste vert de 1 000 hectares, coincé entre la mer et le canal des Pangalanes. Sur 2 000 km, il n’y en a plus d’autre. Nous le faisons, car elle abrite la plus petite grenouille du monde, la Stumpffia pygmaea, endémique de Madagascar et dont la taille dépasse à peine 1 cm. On y rencontre aussi le plus petit caméléon du monde, Brookesia minima, classé en danger d’extinction par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN).
Nous le faisons aussi pour les populations riveraines pour lesquelles la forêt est sacrée car, selon leurs croyances, leurs ancêtres y vivent. D’où le nom de l’association à travers laquelle nous tentons d’agir : Razan’ny Vohibola, « les ancêtres de la forêt ». Ses moyens modestes reposent sur des financements participatifs et un partenariat avec une entreprise locale.
Mais vouloir protéger une forêt à Madagascar, c’est souvent précipiter sa perte. C’est s’attaquer aux intérêts de ceux qui la pillent. Quand il s’agit du détenteur de l’autorité locale ayant deux ou trois gendarmes à sa botte, le combat est inégal. Les prédateurs ont en poche des autorisations de coupe et de charbonnage achetées à la commune voisine, dûment tamponnées, précisant une parcelle d’exploitation sur laquelle il n’y a plus un arbre… Les braconniers viennent la nuit commettre leur forfait dans Vohibola et déposent discrètement le fruit de leur « travail » dans des petits stocks cachés le long du canal des Pangalanes qui borde la forêt. Puis entrent en scène les transporteurs pour ramasser ces stocks et les acheminer grâce à des connivences, elles aussi monnayées. Le système est bien huilé. Tout cela est bien évidemment interdit par la loi car, à Madagascar, la forêt est officiellement protégée.
Mascarade grotesque
Depuis trois ans, entre les gardiens de Vohibola qui ne sont pas armés et les charbonniers qui le sont souvent, c’est le jeu du chat et de la souris. En mars, plus de 6 hectares ont été charbonnés et une centaine de lémuriens massacrés. L’alerte lancée par Razan’ny Vohibola et relayée par une pétition sur le site de l’ONG Avaaz a soulevé l’indignation et l’arrêt temporaire des coupes. Les gardiens de Vohibola en ont payé le prix par une arrestation organisée au mépris de toutes les règles d’un Etat de droit. Menottés, yeux bandés, ils ont été traînés à la direction régionale des eaux et forêts, à 60 km de là, pour une mise en scène devant un parterre de journalistes aux ordres avec un gros titre : « Filière de trafiquants démantelée ». La chose était crédible : des gendarmes, le maire, le directeur des eaux et forêts de la région, avec un mandat de perquisition signé par le procureur de la capitale économique du pays, mais qui a été appliqué comme un mandat d’arrestation accompagné d’humiliations et de brimades !
A plus grand qu’un pouce, « Brookesia minima », est le plus petit caméléon du monde. Il vit à Madagascar. L’espèce est classée en danger d’extinction par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). / CC 2.0
Le ministère de l’environnement a heureusement mis un terme à cette mascarade grotesque. Les gardiens ont été relâchés, mais la coupe a depuis repris. Preuve que les trafiquants, fussent-ils des représentants de l’Etat se sentent toujours au-dessus des lois.
Le nouveau gouvernement a pris des engagements pour que la protection des forêts à Madagascar devienne une réalité. Un programme de reforestation a été annoncé pour commencer à réparer des années de destruction massive. C’est une urgence si l’on veut sauver les dernières forêts primaires et si l’on veut préserver l’environnement dont dépendent les plus pauvres pour se nourrir. L’avenir de Vohibola ne tient qu’à la détermination de faire de ces paroles des actes. Pour que soit enfin mis un terme à l’impunité qui a permis au business des charbonniers de prospérer. Pour le nouveau gouvernement, Vohibola aura valeur de test.
Alexandre Poussin est le cofondateur de l’association Razan’ny Vohibola. De 2014 à 2018, Alexandre Poussin a fait le tour avec sa femme et leurs deux enfants de l’île de Madagascar en charrette à zébus. Une aventure dont il a fait un film intitulé Madatrek.