Trois jours après l’attentat du 21 avril, les forces de l’ordre sri-lankaises sécurisent le site d’un enterrement collectif de victimes, à Negombo. / Gemunu Amarasinghe / AP

L’organisation Etat islamique (EI) a revendiqué les attentats du dimanche de Pâques pendant que le Sri Lanka enterrait ses morts, mardi 23 avril. C’est l’attaque la plus meurtrière à laquelle il aurait eu partie liée, hors de son territoire perdu en Irak et en Syrie. Un mois après la chute du village syrien de Baghouz, le dernier bastion de son « califat » territorial dans la vallée de l’Euphrate, le groupe affirme ainsi au monde sa capacité de résilience. Et fait savoir à ses partisans que son redéploiement en franchises régionales porte ses fruits, en liens plus ou moins avérés ou ténus avec des mouvements locaux, loin au-delà du Proche-Orient.

Son canal régulier, l’agence Amaq, a diffusé, mardi, une vidéo montrant le serment d’allégeance d’un groupe d’hommes, présentés comme les kamikazes qui ont frappé, dimanche, six églises et hôtels de luxe. L’EI a nommé un leader et sept compagnons, photographiés le visage masqué. Il a aussi fourni des détails opérationnels plus de quarante-huit heures après les faits, un délai relativement long. Les autorités sri-lankaises, dépassées par l’ampleur de l’attaque, n’ont pas confirmé la véracité de ces informations.

Le secrétaire d’Etat à la défense, Ruwan Wijewardene, a reconnu, mardi, devant le Parlement, que le pays avait reçu des informations des services secrets indiens sur la préparation d’attentats visant des églises. L’Inde surveille elle-même une implantation embryonnaire de l’EI sur son territoire, ainsi que le prosélytisme exercé par certains de ses partisans jusqu’au Sri Lanka et au Bangladesh. Ces informations alarmantes n’avaient pas été utilisées par les autorités sri-lankaises, ni même transmises au premier ministre et au ministre de la défense. Dans une allocution télévisée, mardi soir, le président sri-lankais, Maithripala Sirisena, a annoncé le limogeage de tous les chefs des services de sécurité. Le dernier bilan fait état de 359 morts, dont au moins 45 enfants, et d’au moins 500 blessés.

Le Sri Lanka est sous un triple choc. Le pays n’avait pas connu d’attentats aussi meurtriers dans son histoire, ses services de renseignement ont été défaillants, et il vient de prendre conscience de la menace du terrorisme islamiste. L’île, qui se remettait à peine d’une longue guerre civile opposant les séparatistes des Tigres de libération de l’Eelam tamoul à l’armée sri-lankaise, qui a duré jusqu’en 2009, n’avait pas vu cette menace poindre à l’horizon.

Idolâtres

Plusieurs dizaines de ses ressortissants, dont certains se sont fait exploser dimanche, avaient pourtant rejoint l’EI en Syrie, parfois via les Maldives, l’un des terreaux de l’islamisme en Asie du Sud. Le chef présumé des attaques de dimanche, Mohammed Zahran, également connu sous le nom de Zahran Hashmi, s’était rendu célèbre par des discours incendiaires diffusés sur les réseaux sociaux il y a trois ans.

Il dirigeait le groupe islamiste National Tawheed Jamaat (NTJ), à peine connu sur l’île, et qui, jamais auparavant, n’avait été impliqué dans la préparation d’actes terroristes. Plusieurs de ses membres avaient été arrêtés pour avoir vandalisé des statues bouddhistes, qu’ils considéraient idolâtres, dans le centre du pays. Ce groupe était mentionné dans l’alerte diffusée le 21 avril aux services de police sri-lankais, et ignorée par les autorités, selon laquelle elle préparait des attentats-suicides contre des églises et l’ambassade d’Inde à Colombo.

Selon l’Agence France-Presse, qui cite des sources policières, deux frères sri-lankais islamistes, figurant parmi les kamikazes, auraient également joué un rôle-clé dans les attentats. Trentenaires, ils étaient issus d’une famille aisée de commerçants d’épices et auraient dirigé une « cellule terroriste » familiale jouant un rôle important au sein du NTJ.

Le secrétaire d’Etat à la défense, Ruwan Wijewardene, a ajouté devant le Parlement que les attaques avaient pu être conçues comme une vengeance après le massacre commis en mars dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, par un suprémaciste blanc. L’EI n’a fait cependant nulle mention d’une telle motivation, et les autorités néo-zélandaises ont affirmé ne disposer d’aucun élément permettant d’établir un lien.

« Retour au désert »

Le premier ministre sri-lankais, Ranil Wickremesinghe, a précisé, mardi, que d’autres militants islamistes se trouvaient en liberté et que la police était toujours à la recherche de caches d’explosifs. Sous tension, le pays était à nouveau sous couvre-feu dans la nuit de mardi à mercredi. Dans la capitale Colombo, certaines mosquées étaient fermées, par crainte de représailles, et affichaient des banderoles pour exprimer leurs condoléances et leur condamnation du terrorisme.

Fragilisée par les lignes de fracture ethniques et religieuses, l’île de 21 millions d’habitants se retrouve à nouveau hantée par les spectres de la guerre civile : la menace des attentats-suicides comme les tigres tamouls les pratiquaient, l’omniprésence policière et militaire comme au temps de la guerre civile et l’imposition d’un état d’urgence critiqué pour avoir restreint les libertés dans le pays.

Dans un contexte si éloigné du terreau originel de l’EI, son lien opérationnel avec les attaques du Sri Lanka n’est pas établi. Les attentats démontrent toutefois un niveau de coordination difficile à envisager sans appui extérieur. « Nous enquêtons sur une éventuelle aide étrangère et leurs autres liens, comment ils forment des kamikazes, comment ils ont produit ces bombes », avait déclaré, lundi, Rajitha Senaratne, porte-parole du gouvernement. Depuis de longs mois déjà, la propagande du groupe, qui connaît un regain d’activité sur Internet, se désintéressait de la fin de son « califat « dans la vallée de l’Euphrate syrienne, pour magnifier son « retour au désert » en Irak et en Syrie, et son extension à travers le monde.

L’organisation mène des opérations de guérilla constantes dans les campagnes d’Irak et en cellules discrètes dans les villes, sous la houlette de ses anciens services de renseignement. En Syrie, elle se maintient dans la province rebelle d’Idlib (nord-ouest), au sud de la capitale, Damas, et dans la vaste étendue de désert de la Badiya, dans le sud-est du pays.

Plus loin, les propagandistes de l’EI ont revendiqué, dimanche, une tentative d’attentat en Arabie saoudite, et une attaque à Kaboul, en Afghanistan. L’organisation affirmait par ailleurs, pour la première fois, avoir partie liée à une attaque perpétrée en République démocratique du Congo par un groupe local récemment affilié, auquel l’EI a pu transférer des fonds.

Dès septembre 2016, l’organisation avait déjà appelé ses partisans à ne plus tenter de rejoindre le « califat » territorial, mais à émigrer vers ses branches éloignées. Affaiblie, elle a accéléré son internationalisation après la chute symbolique de Rakka, sa « capitale » syrienne, en octobre 2017.

Trésor de guerre

La coalition militaire menée par les Etats-Unis en Syrie avait fait sa cible prioritaire d’officiers de l’EI chargés de redistribuer des fonds et des ressources humaines à l’étranger, au fil de l’année passée. Comme l’Indonésien Bachrumsyah Mennor Usman, l’un des fondateurs de l’EI en Asie du Sud-Est, donné pour mort en avril 2018. Il avait contribué au financement de l’opération « Marawi » aux Philippines : des djihadistes locaux et étrangers avaient pris et occupé, cinq mois durant, en 2017, la première ville musulmane de l’archipel, sur l’île de Mindanao.

L’EI a paru modeler ces filiales sur les anciennes divisions de l’EMNI, la branche spéciale qui chapeautait ses réseaux extérieurs : Irak, « Levant » (Moyen-Orient), Asie, pays du Golfe, Afrique et Europe. On peut cependant douter de la réalité opérationnelle de cet organigramme élaboré, au vu de l’affaiblissement du groupe. Même s’il dispose encore, selon un récent rapport de l’ONU, d’un important trésor de guerre – entre 50 millions et 300 millions de dollars –, caché en Irak ou en Syrie, ou déjà mis à l’abri dans des pays voisins.

Actif en Egypte, en Libye et au Nigeria, l’EI tente de se réimplanter en Afghanistan, où des militants d’Asie centrale ou des Kurdes iraniens ont été accueillis, en nombre limité, par des groupes afghans ayant fait scission de l’insurrection talibane. En Europe, les attentats récents ont été pour l’essentiel menés par des militants locaux, qui n’ont jamais pu rejoindre le « califat ». Les services redoutent que des « revenants » de Syrie et d’Irak puissent à l’avenir leur fournir leur expertise.

Attentats au Sri Lanka : le résumé des événements en vidéo
Durée : 03:06