« Naissance d’une nation, naissance d’une contestation » : aux origines d’une conscience politique
« Naissance d’une nation, naissance d’une contestation » : aux origines d’une conscience politique
Par Audrey Fournier
Un documentaire passionnant explique comment le film raciste de D. W. Griffith a entraîné la radicalisation des activistes noirs-américains.
Qui sait, en France, qu’il y eut un temps entre la fin de l’esclavage aux Etats-Unis et l’instauration de la ségrégation raciale ? Qui connaît l’influence de William Monroe Trotter, journaliste actif au début du XXe siècle, sur la lutte pour les droits civiques des années 1960 ? Qui a vu, dans l’Hexagone, Naissance d’une nation, œuvre profondément raciste mais fondatrice du cinéma hollywoodien ?
Le documentaire inédit Naissance d’une nation, naissance d’une contestation, réalisé par Bestor Cram et Susan Gray, et diffusé sur la chaîne Histoire, permet de lever le voile sur ces pans méconnus de l’histoire américaine et de mesurer l’influence de Naissance d’une nation non seulement sur son époque, mais aussi sur le développement de la conscience politique des Noirs-Américains.
Fils de « white trash » (Blancs pauvres), pur produit du Sud profond, David Llewelyn Wark Griffith commence à la fin du XIXe siècle une carrière d’acteur puis de réalisateur de petits films destinés au public des nickelodéons. Il devient peu à peu un cinéaste inventif et respecté, et travaille au développement de films de plus en plus longs. Le documentaire pointe à ce titre une curieuse concomitance entre l’essor du cinéma aux Etats-Unis et l’une des plus grandes régressions qu’aient jamais connues les Etats-Unis, l’instauration des « lois Jim Crow », qui séparent la population américaine en deux catégories : les Blancs et les « colorés », alors que l’esclavage a été aboli en 1865.
Une « pornographie raciale »
En 1915, Griffith s’inspire d’un best-seller, The Clansman, de l’écrivain sudiste Thomas Dixon, pour réaliser Naissance d’une nation, un des tout premiers longs-métrages sortis aux Etats-Unis. Ce film de trois heures lie intimement la naissance des Etats-Unis à la suprématie blanche et déroule une « pornographie raciale » qui consiste, sous couvert de reconstitution historique, à transposer tous les fantasmes entourant les Noirs (violence, lubricité, malhonnêteté…) sur grand écran, leur donnant ainsi une forme de validation. Ultime offense, les Noirs y sont interprétés par des Blancs au visage – mal – grimé. Vu par un quart des Américains, projeté à la Maison Blanche, Naissance d’une nation s’imposera comme le plus grand succès de l’histoire du cinéma muet et profitera très largement au Ku Klux Klan, pourtant moribond au début du siècle, mais dont les adhésions s’envoleront au cours des années 1920.
A sa sortie, le film scandalise les militants des droits civiques, et notamment William Monroe Trotter, un fils de métis bourgeois, scolarisé dans des écoles blanches et brillant diplômé de Harvard, créateur du journal The Guardian à Boston et cofondateur, avec d’autres militants historiques pour les droits des Noirs, de la NAACP (société pour l’avancement des gens de couleur). Devenu l’un des plus fervents critiques du président Wilson, rallié au ségrégationnisme, il lance une vaste mobilisation pour faire interdire le film, en vain.
Nourri d’éclairages apportés par des historiens prestigieux et le plus souvent noirs, ainsi que des interventions du réalisateur Spike Lee et du producteur du film Django Unchained, ce documentaire explique, avec un ton original et des images sobres, comment la campagne menée par Trotter a posé les bases de l’activisme noir qui, plusieurs décennies plus tard, viendra à bout de la ségrégation raciale. Il montre aussi à quel point la controverse autour de ce film reste vive, jusqu’à aujourd’hui.
Naissance d’une nation, naissance d’une contestation, réalisé par Bestor Cram et Susan Gray (EU, 2017, 60 min). www.histoire.fr