« Les Chinois et moi » : chronique drolatique d’un tournage à Marseille
« Les Chinois et moi » : chronique drolatique d’un tournage à Marseille
Par Jacques Mandelbaum
Le réalisateur Renaud Cohen filme les coulisses de son travail de producteur sur une série à succès pour la télévision chinoise, « Une famille du Wenzhou ».
Renaud Cohen est sinophile depuis sa jeunesse. Cet amour de la Chine nourrit depuis plus de vingt ans l’essentiel de son travail documentaire. Exceptionnellement, il s’éloigne du cœur de son réacteur personnel pour baguenauder sur d’autres terres. Il signe ainsi en 2001 un long-métrage de fiction, Quand on sera grand, dans lequel Mathieu Demy interprète un trentenaire inquiet et velléitaire. Sans suite. Onze ans plus tard, Au cas où je n’aurais pas la Palme d’or prend le relais sur le mode de l’autofiction. Renaud Cohen interprète cette fois lui-même ce personnage, qui se croit au seuil de la mort, et se lance avec l’énergie du désespoir dans la réalisation d’un film qui tourne au cauchemar.
Les Chinois et moi se situe aujourd’hui à la jonction de ces deux courants. Documentaire d’un côté, chronique drolatique de l’autre. Sollicité par une équipe de télévision chinoise, Renaud Cohen devient le producteur exécutif du tournage à Marseille d’une série très populaire, Une famille du Wenzhou, dont la première saison a d’ores et déjà rassemblé cent cinquante millions de spectateurs. Le réalisateur accepte, à condition de greffer son propre film, photographié par Ariane Doublet, sur celui qui se tourne.
La série – à la gloire de l’esprit d’entreprise national conquérant des marchés hors des frontières – raconte comment deux familles chinoises originaires de la ville de Wenzhou ont prospéré à l’étranger. L’étape marseillaise a pour héros le fils d’un richissime fabricant de chaussures, qui l’a inscrit dans une école de commerce mais refuse de lui payer la voiture de sport dont il rêve. Là-dessus, une intrigue sentimentale l’oppose à un condisciple issu des Emirats – qui possède, lui, la Ferrari de rigueur – au sujet d’une jeune et charmante étudiante coréenne dont le cœur penchera clairement pour le plus riche des deux.
Choc de deux cultures
Qu’à cela ne tienne, notre jeune héros, symbole de l’esprit de débrouille et de conquête chinois, est en cheville avec un petit garagiste marseillais qui lui prépare une vieille Lancia de rallye grâce à laquelle il gagnera le duel que lui a imposé son rival. Hommage à Taxi ? Nous l’ignorons. Reste à injecter là-dedans quelques petits artisans marseillais pour la figuration, le vieux port, un comte et une comtesse collectionneurs d’art en leur château-musée, et le tour est joué. Quant au film de Renaud Cohen, sa discrète drôlerie tient au fait qu’il nous fait découvrir, en même temps que cette intrigue, l’envers du décor.
Soit une sorte de doux calvaire pour lui, à qui incombe de résoudre les problèmes de communication entre l’équipe de tournage (stakhanoviste) et la population locale (provençale), de rendre compréhensible les propos de la jeune interprète attachée à l’équipe, et de parer à la philosophie spontanéiste des méthodes de préparation chinoises. Soit, en termes concrets, éviter d’aller dans le mur en l’absence de plan de travail et de nombreux décors, ainsi que des comédiens français non encore castés, le tout à deux jours du début de tournage. Sur ce dernier point, il revient évidemment à Renaud Cohen d’expliquer par téléphone à un jeune comédien que l’intrigue consiste « un peu en un Jules et Jim version sino-maghrébine ». Et de lui taire naturellement les consignes réelles du réalisateur concernant ce personnage qui « doit être beau selon les critères chinois et non français, peu importe s’il joue bien ou mal ».
En un mot comme en cent, on rit pas mal à la vision de cette chronique de tournage où chacun parle en réalité dans sa langue et où personne ne se comprend vraiment sur le plateau, laquelle se moque moins de son objet qu’elle ne s’amuse avec douceur du grand écart culturel qui sépare les groupes en présence. Renaud Cohen lui-même – tenu au fond pour quantité à peu près négligeable par le très sympathique tandem de réalisateurs Shen Kong et Me Long – aime trop les mœurs chinoises pour s’offusquer de la chose. Au point de prêter obligeamment ses traits, faute de candidats adéquats, au personnage positif nommé « Yakeu » (Jacques), avocat défendant le Crésus de la chaussure contre le dumping anti-chinois du gouvernement français.
Les Chinois et moi - Bande-annonce VF
Durée : 01:51
Documentaire français de Renaud Cohen (1 h 10). Sur le Web : nextfilmdistribution.com