Enseignement supérieur privé : les « écoles de niche », un marché florissant
Enseignement supérieur privé : les « écoles de niche », un marché florissant
Par Pascal Galinier
A côté des grandes écoles classiques, des cursus privés très spécialisés attirent les étudiants en leur promettant une insertion professionnelle rapide dans des domaines en vogue.
Après une première école des DJ ouverte à Lyon en 2001, l’UCPA a inauguré celle du Futuroscope de Poitiers (Vienne) en 2014, qui délivre des titres inscrits au répertoire national des certifications professionnelles. / GUILLAUME SOUVANT/AFP
Il s’appelle Julien Barrau, plus connu sous son nom de DJ : Jules Sky. A 22 ans, il opère au Macumba, à Lille, la plus grande discothèque de la métropole nordiste. Dans un métier qui, le plus souvent, s’apprend sur le tas, il fait exception : Julien Barrau est titulaire d’un titre professionnel d’« animateur musical et scénique », décroché en 2018 dans l’une des deux écoles de DJ de l’UCPA, celle du Futuroscope de Poitiers (Vienne). DJ Jules Sky est même sorti major de sa promo.
Marine Weill, elle, avait un nez, formé par la passion de ses parents pour l’œnologie, dit-elle. Diplômée de l’Ecole supérieure du parfum, à Paris, elle a créé en 2018, à 25 ans, Pikoc, « parfumeur du quotidien », une start-up qui propose « un dressing olfactif » de produits de grande consommation – lessive, gel douche, brume de linge…
Partout en France, une myriade d’écoles supérieures privées propose ainsi toutes sortes de formations dans des secteurs de niche ou délaissés par le service public. Le sport est l’un des marchés les plus convoités. Le choix de Paris pour les JO de 2024 et le titre mondial du onze tricolore en 2018 ont suscité des vocations, tant du côté des jeunes que du côté de l’enseignement privé, à qui il n’a pas échappé que la filière universitaire Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) est l’une des plus « sous tension » dans le cadre de Parcoursup.
Teddy Riner, le judoka multimédaillé, vient ainsi de s’associer avec le groupe MediaSchool pour ouvrir, à la rentrée 2019, la Paris School of Sports, dont il détiendra 25 % du capital. Eduservices a créé la sienne, Win, l’an dernier. Le groupe espagnol Planeta, récemment installé en France, a racheté la Sports Management School (SMS), fondée en 2010 par un ancien rugbyman devenu prof de marketing, Michael Tapiro. Le groupe Inseec U en a aussi une dans sa palette, baptisée Inseec Sport.
Difficile de dénombrer toutes ces écoles, souvent propriété des familles fondatrices ou d’entrepreneurs individuels, tels les frères Lagarde (Collège de Paris, 5 000 étudiants, 12 écoles), Franck Papazian (MediaSchool, 5 500 étudiants, 31 écoles), Philippe Grassaud (Eduservices, 19 500 étudiants, 9 écoles), Marc Sellam (Ionis, 27 000 étudiants, 24 écoles).
L’effet de mode comme moteur
Un paysage éparpillé que tentent d’organiser des groupes comme Inseec U ou Galileo Global Education, avec l’appui d’investisseurs privés ou publics. Après la multiplication d’établissements viendra une phase de rationalisation et de concentration, prédit José Gonzalo, en charge de ce secteur au sein de l’opérateur public Bpifrance, actionnaire des deux groupes précités, dont l’objectif est de « forger des champions nationaux. »
La révolution numérique contribue à cette effervescence. Anne Lalou a cofondé avec Studialis (groupe Galileo Global Education) la Web School Factory, en 2012, à Paris. Ionis avait lancé dès 2001 e-artsup, une école de création numérique et d’arts graphiques qui a fait du game design son fer de lance. Un domaine où sont déjà très investis des opérateurs privés comme le Pôle Léonard de Vinci, avec l’Institut de l’Internet et du multimédia (IIM), l’Ecole européenne des métiers de l’Internet (EEMI) ou Hétic (Hautes Etudes des technologies de l’information et de la communication).
Le luxe, au sens large, est un autre secteur prisé. Sup de Luxe, précurseur lors de sa création par Cartier en 1990, a fait nombre d’émules. Aujourd’hui, dans le giron de Planeta, elle n’exclut pas de réactiver Sup de Goût, un troisième cycle envisagé en 2005, avec le parrainage d’Alain Ducasse, mais resté en jachère faute de moyens et de clients.
Côté parfum, Jean-Jacques Guerlain avait lancé en 1970, à Versailles, l’Isipca (Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire), devenue école de référence du secteur. Un de ses anciens dirigeants a fini par se mettre à son compte en créant à Paris, en 2011, l’Ecole supérieure du parfum, qui vient d’ouvrir un campus à Grasse, en Provence, pour rapprocher ses apprentis nez des fournisseurs de la matière première des fragrances.
De 5 000 à 10 000 euros l’année
Obsession de toutes ces écoles : coller au plus près des besoins des entreprises. « Le monde de la nuit est un gros pourvoyeur d’emplois, avec quelque 4 500 établissements en France », argumente Pascal Tassy, de l’UCPA, pour expliquer le pourquoi du comment de la création de ses deux écoles de DJ par une association agréée entreprise solidaire d’utilité sociale, plutôt connue pour ses formations de moniteurs de ski ou de voile et ses colonies de vacances. Eduservices n’emploie pas moins de 180 représentants itinérants qui parcourent la France pour solliciter PME et PMI en vue de décrocher des contrats d’alternance, d’apprentissage, de professionnalisation et, in fine, des emplois pour les élèves de ses neuf écoles.
Quant au corps enseignant, il est souvent à temps partiel. « A MediaSchool, nos 1 500 intervenants sont rarement des gens pour qui l’enseignement est la première activité, mais tous veulent transmettre, transmettre leur savoir-faire et leur passion pour leur métier… », fait valoir Franck Papazian.
En guise de « diplômes », ces écoles délivrent pour la plupart des titres inscrits au répertoire national des certifications professionnelles. Elles ont fait de la formation en alternance leur cheval de bataille. D’une pierre deux coups pour les étudiants : les entreprises partenaires financent leurs études et elles leur versent un salaire. De quoi rassurer les familles, qui doivent tout de même souvent payer un ticket d’entrée digne d’une grande école classique en premier cycle (niveau bachelor) – de 5 000 à 10 000 euros l’année en moyenne.
« Hors système »
La quête du label de la Conférence des grandes écoles (CGE, 229 écoles), en réalité, peu de ces petits établissements s’en soucient. « Ce serait vouloir courir en formule 1 avec une caravane ! », ironise Michael Tapiro, le fondateur de SMS. Chez Planeta France, qui forme 3 000 étudiants, une seule école est accréditée par la CGE, l’EDC Paris, l’ancienne Ecole des cadres.
Beaucoup se pensent, voire s’assument, « hors système ». Parcoursup ne les empêche pas de dormir, contrairement à leurs futurs clients, qu’elles s’emploient à séduire en parlant leur langage. Collège de Paris a opportunément intégré l’an dernier dans son panel un Institut supérieur de l’environnement, fondé en 1993 et racheté par un jeune financier. Pour SMS, Michael Tapiro raconte comment il a soigneusement choisi « un nom et un logo qui “parlent” aux jeunes que fait rêver le sport business ».
Pour quel résultat ? « On ne vit pas d’une passion ou d’un rêve. On travaille, on apprend, on se forme à un métier dont la réalité peut se révéler décevante », prévient Florimond Zipper, 28 ans, major de promo de l’école DJ-UCPA de Lyon en 2010. Après un début de carrière au Queen à Paris – « pour y faire la lumière, pas le DJ… » –, ce jeune Alsacien, fils d’un couple franco-allemand, fait aujourd’hui, avec sa petite société, VisionZ, créée à 25 ans, le tour du monde des festivals, des discothèques et de toutes sortes de lieux publics ou privés en quête d’animation son et lumière. Des lieux qui ne font pas toujours rêver, reconnaît-il : son dernier contrat est avec… un bowling ! Mais « l’école [lui] a appris à travailler, pas juste à faire le DJ », assure-t-il. Un message qu’il s’efforce de faire passer auprès des étudiants de son ancienne école, où il vient régulièrement faire des master class.