« 36 000 ans d’art moderne, de Chauvet à Picasso » : fascinante préhistoire de l’art moderne
« 36 000 ans d’art moderne, de Chauvet à Picasso » : fascinante préhistoire de l’art moderne
Par Harry Bellet
Picasso, Nicolas de Staël, Penone racontent dans ce documentaire l’influence qu’a exercé sur eux l’art des cavernes.
Si l’influence des arts dits premiers sur l’art moderne est bien étudiée depuis que le Musée d’art moderne de New York a consacré au phénomène une exposition désormais historique, La part de l’art pariétal, celui réalisé à la période paléolithique, reste encore largement inexplorée. 36 000 ans d’art moderne, de Chauvet à Picasso, un documentaire réalisé par Manuelle Blanc à l’occasion de l’exposition du Centre Pompidou « Préhistoire, une énigme moderne », qui se tient à Paris jusqu’au 16 septembre, éclaire un peu l’art des cavernes et son impact sur l’art du XXe siècle.
Sa découverte est alors d’une actualité brûlante pour les artistes : la grotte espagnole d’Altamira est mise au jour en 1879, celle de Lascaux (Dordogne) en 1940. L’écrivain Nicolas de Staël visite la première en 1935. Pourtant généralement avare de compliments, Picasso, en ressortant, dira de ses lointains prédécesseurs : « Ils ont tout inventé ! » Son compatriote Barcelo nous confia jadis avoir terminé la visite de Lascaux à genoux, tant par respect que par fascination.
C’est une des forces de ce documentaire que de donner la parole aux artistes. Penone dit mieux que personne l’émotion que l’on ressent devant des images peintes il y a 36 000 ans (la grotte Chauvet, découverte en 1994), le sentiment, puissant dans un siècle qui a connu deux guerres mondiales, d’une permanence de l’humanité, d’un imaginaire qui appartient à tous les hommes et à toutes les époques.
De cela l’art moderne fera son miel. La juxtaposition, dans le film, de tableaux modernes, ceux de Miro notamment, et d’œuvres des cavernes est saisissante. Les signes abstraits de l’un répondent presque littéralement à ceux des autres. Il en tire, en particulier avec la série des « Constellations », un monde nouveau, une poétique propre et surprenante. Une lueur d’espoir aussi : si des humains ont pu, il y a 36 000 ans, réaliser des images qui nous parlent et nous émeuvent encore, l’espèce n’est pas nécessairement foutue…
Un chapitre particulièrement réjouissant traite des « Vénus ». Ainsi nomme-t-on des petites statuettes féminines qui permettent aux étudiants d’histoire de l’art d’apprendre le mot « callipyge ». Leurs prudes professeurs le préfèrent à sa définition complète : elles ont de gros fessiers et des seins énormes. A une époque où l’espérance de vie ne devait pas excéder 20 ans, la maternité a son importance… A tout point de vue puisque, comme le fait remarquer un philosophe qui n’a pas ses yeux dans sa poche, vues de profil, ces statuettes font penser à des sexes masculins. Ce que Barcelo confirme d’un radical « C’est comme des bites », avant d’en conclure qu’une femme aurait très bien pu les façonner…
« J’étais là. »
Comme elles auraient pu être les auteures des peintures pariétales, d’autant que leurs hommes étaient au boulot, dehors, à traquer l’aurochs, et que ces œuvres témoignent d’une maîtrise qui n’est pas celle d’un amateur se délassant en peignant au retour de la chasse. A dire vrai, et ce n’est pas non plus pour rien dans le fascinant mystère de l’art des cavernes, on n’en sait rien. Cela n’empêche toutefois pas de rêver, devant ces empreintes de mains, signe millénaire qui veut toujours dire la même chose : « J’étais là. » On le retrouve aujourd’hui dans les graffitis du street art, ceux de Banksy notamment.
36 000 ans d’art moderne, de Chauvet à Picasso, de Manuelle Blanc (Fr., 2018, 53 min). Disponible sur arte.tv jusqu’au 25 mai.