Brexit : les Européens entre amertume et fatalisme après le départ de Theresa May
Brexit : les Européens entre amertume et fatalisme après le départ de Theresa May
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Les Vingt-Sept ont salué la ténacité de la première ministre démissionnaire, tout en s’inquiétant de l’identité de son successeur, surtout s’il s’agit de l’ultra-brexiter Boris Johnson.
Très émue, Theresa May annonce sa démission et son « regret profond »
Durée : 02:07
Les larmes de Theresa May, vendredi 24 mai, au moment d’annoncer son départ (fixé au 7 juin), n’ont réjoui personne dans l’Union européenne (UE). « Elle était respectée, les dirigeants admiraient sa résilience, son sérieux », souligne un diplomate européen. Ils ont d’ailleurs très vite réagi après cette annonce. « C’est une femme courageuse, j’ai beaucoup apprécié travailler avec elle », a ainsi fait savoir Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Angela Merkel a dit « respecter » la décision de Mme May de démissionner. Emmanuel Macron a salué son « travail courageux » mais appelé à « une clarification rapide » sur le Brexit, « pour préserver le bon fonctionnement de l’UE ». Mark Rutte, le premier ministre néerlandais, a fait savoir qu’il venait d’appeler Mme May et qu’il avait « loué sa ténacité ces six derniers mois ».
Les Vingt-Sept ont maintes fois déploré, ces trois dernières années, les erreurs de Theresa May : le fait qu’elle ait choisi d’entrer en négociations avec eux, mi-2017, avec un mandat aux lignes très dures (sortie du marché intérieur et de l’union douanière) sans avoir établi, au préalable, un consensus interne au Royaume-Uni. Le fait aussi, à deux ou trois reprises, qu’elle soit revenue sur des engagements pris formellement à Bruxelles (elle a voulu renégocier le traité du divorce, rediscuter à de multiples reprises du cas irlandais). Mais les Européens avaient appris à la connaître et appréciaient cette dirigeante qui ne cédait pas au populisme.
Beaucoup s’attendent désormais à devoir « gérer BoJo », Boris Johnson, le favori dans la course à la succession de Mme May. A Bruxelles, la réputation de l’ultra-brexiter à la tignasse blonde est exécrable. Il a laissé un souvenir catastrophique de son passage en tant que ministre des affaires étrangères de Mme May, jusqu’à l’été 2018. Certains se souviennent même de son éphémère expérience de journaliste européen, au tout début des années 1990, quand déjà il s’était spécialisé dans la critique de l’Union.
Le première ministre britannique, Theresa May, au 10 Downing Street, à Londres, le 24 mai. / Alastair Grant / AP
Le traité de divorce ne sera pas rouvert
M. Juncker a fait savoir « qu’il respectera tout autant [que Mme May] et établira des relations de travail avec le nouveau premier [ou la nouvelle première] ministre, quel qu’il soit ». Pas question pour autant de rouvrir un traité de divorce durement négocié et bouclé depuis novembre 2018. La Commission a rappelé vendredi cette ligne qu’elle défend bec et ongles depuis six mois. Et sur laquelle se sont également alignés les vingt-sept gouvernements de l’UE. S’il y a eu des divisions, lors d’un conseil spécial Brexit, le 10 avril, entre, d’un côté, la France, la Suède, le Luxembourg et Malte et, de l’autre, l’Allemagne et tous les autres, c’est sur la durée du report du Brexit à accorder à Londres.
Emmanuel Macron se disait prêt à aller au no deal dès la fin du mois de juin, mais Angela Merkel a préféré un report au 31 octobre, quitte à obliger les Britanniques à participer à l’élection européenne, alors que leur pays est sur le départ.
Que va t-il se passer, une fois que la succession de Mme May aura été réglée, au cœur de l’été ? A Bruxelles, certains s’attendent à une reprise des négociations avec Londres, mais probablement pour la forme, surtout si le ou la dirigeant(e) conservateur (rice) maintient sa volonté d’un « Brexit » net : avec sortie du marché intérieur et de l’union douanière.
Un « no deal » faciliterait la tâche des Européens
A moins que le nouveau locataire du 10 Downing Street ne s’embarrasse même pas de ces allers-retours diplomatiques et décrète sa volonté d’aller vers un no deal au lendemain du 31 octobre. Cela facilitera presque la tâche des Européens, estiment les experts à Bruxelles : cela leur évitera de porter la responsabilité historique de ce choix. Par ailleurs, ils se sont préparés activement à cette éventualité, fin 2018, même s’ils la redoutent encore, pour ses conséquences économiques.
« Fin octobre prochain, ce n’est pas une zone de danger politique, l’Europe pourra aller au no deal », souligne l’eurodéputé vert Philippe Lamberts, membre du « groupe de pilotage » Brexit du Parlement européen. Un « Brexit dur (…) est quasi impossible à arrêter » après la démission de Mme May, a souligné le gouvernement espagnol vendredi. En tout cas, « c’est le président Macron qui avait raison », estimait un diplomate bruxellois, quelques heures avant l’officialisation par Mme May de sa démission : donner du temps aux Britanniques n’aura probablement pas aidé à ratifier l’accord du divorce, ni à éviter le no deal.
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