Jeu vidéo : sur MonPetitGazon, la fin d’une saison tumultueuse
Jeu vidéo : sur MonPetitGazon, la fin d’une saison tumultueuse
Par William Audureau
L’application de fantasy football la plus populaire de France a dépassé cette année le million de joueurs.
En exclusivité mondiale, le onze de départ qui devrait permettre à Le Monde FC de remonter en première division de la ligue inter-rédactions. (En espérant que Le Phocéen perde. Bouh, Le Phocéen, bouuh.)
Oudin, Lala, Savagner… Si ces noms vous arrachent un sourire entendu, c’est que vous faites peut-être partie des 650 000 Français qui ont joué cette année à MonPetitGazon (MPG), jeu de gestion sportif dont les résultats dépendent des performances des athlètes réels sur les pelouses des grands championnats d’Europe.
Le principe est relativement simple : via un système d’enchère, de deux à dix joueurs forment leur équipe en se disputant les meilleurs joueurs de chaque club, puis ils s’affrontent dans des matchs dont l’issue dépend principalement des performances de leurs footballeurs dans la vraie vie. Et à ce petit jeu, le milieu de terrain rémois Rémi Oudin (dix buts dans la saison, pour une cote de départ de huit millions d’euros) était l’une des bonnes pioches, comme le Nîmois Téji Savanier, six buts et treize passes décisives.
Au nom de toute la communauté @MonPetitGazon j’ai ce soir remercié Teji Savanier de nous avoir fait gagner de si no… https://t.co/jp9JNpKSxZ
— Margot_Dumont (@Margot Dumont)
Gratuit d’accès et redoutablement prenant, le jeu est devenu un réflexe pour bien des amateurs de football. Chaque lundi à 8 heures, une notification désormais bien connue tombe sur l’écran de leur smartphone : « Ton café attendra ! Les résultats sont tombés. » Promesse d’un début de semaine à taquiner collègues et camarades sur les scores du week-end…
1,3 million d’inscrits
Vendredi 24 mai, la saison 2018-2019 de Ligue 1 arrive à son terme. L’ultime occasion pour les joueurs de faire trembler les filets virtuels. Si 80 % des revenus du site viennent de la publicité, et qu’un joueur ne dépense en moyenne qu’un ou deux euros par an, Martin Jaglin, le cofondateur de MPG, sait qu’ils seront nombreux ce soir à craquer pour une « valise », un bonus payant permettant d’annuler un but adverse. Il jubile :
« Là on arrive à la 38e et dernière journée, il n’y a plus d’ami, plus de foi. Ça crée des tensions, il y a des amitiés qui vont se briser, mais on aime bien ce vice, tant que c’est du vice avec tenue, bien sûr ! »
Revoyons l’action au ralenti : L’Obs utilise lâchement son bonus « la valise à Nanard » pour annuler le but de Neymar, contre un versement de cinq millions d’euros. Et perd quand même. MWAHAHAHA. / Capture d'écran
C’est peu dire que la popularité de MPG n’a fait que croître ces dernières années. Le service a connu sa meilleure saison depuis son lancement en 2011, avec un nombre d’inscrits qui atteint désormais 1,3 million, et un chiffre d’affaires qui devrait être en hausse de 200 % par rapport à l’exercice précédent, le tout avec une bonne humeur insolente.
« C’est pas encore Fortnite, mais on s’en rapproche », glisse Martin Jaglin avec humour. « Ce n’est plus seulement une application geek, elle devient populaire en France, et l’autre bonne nouvelle c’est que les gens achètent de plus en plus d’options. On a l’impression qu’il y a une adhésion au projet. »
Quand t’as Mbappe sur MPG https://t.co/jwndv4mYPM
— MaxenceHoudus (@il Capitano🇫🇷)
Une année en jaune et noir
Si le « berger » du site – référence à son logo volontiers décalé, une chèvre – ne se départit pas de son optimisme et de son entrain, en coulisse, cette saison a, pourtant, été délicate à gérer. L’hiver a été marqué par une litanie de reports, la faute à l’actualité sociale. A plusieurs reprises, les joueurs ont dû composer avec des matchs annulés, et des résultats faussés, parce que les rencontres étaient reportées dans la vraie vie.
« Les “gilets jaunes”, ça nous a mis dans une merde noire, mais ça fait partie de la vie du pays dans lequel on est, philosophe cet ancien de Dauphine et de la Sorbonne. Ça a créé quelques tensions, mais ça nous a permis de nous appuyer sur notre communauté pour prendre les décisions. »
Début décembre, l’entreprise a notamment reçu des salves d’insultes sur les réseaux sociaux pour avoir décidé d’attribuer des notes de 5/10 par défaut – soit l’assurance de ne pas marquer – aux footballeurs impliqués dans des matchs reportés.
@MonPetitGazon gilet jaune, foulard rouge, GAZON VERT #maintien
— jeredobraziu (@Jeremy Daumec)
La virulence des propos, il préfère en rire. « On accepte parce qu’on joue le jeu, quand on tutoie et qu’on malmène les gens, ça fait partie des risques ! Il n’y a pas de barrière, on parle à nos clients comme à nos potes. » Avant de préciser que la communauté s’autogère. « Désormais, les connards qui nous insultent se font reprendre par les autres. »
Hommage à Sala
L’autre grand événement, tragique, de la saison, fut le décès du buteur nantais Emiliano Sala – un des footballeurs les plus prisés par les joueurs sur la première partie de saison. Que faire ? Retirer son nom du jeu ? Lui rendre hommage publiquement ?
« Ça a été le moment le plus triste de la saison. On a décidé de ne pas communiquer, ça aurait été impudique de notre part. On s’est contenté de faire passer son prix dans le jeu à 500 millions d’euros, afin qu’il soit toujours là mais qu’il ne puisse pas être acheté, pour sortir par le haut. »
Une manière, avec les moyens du bord, de ne pas oublier, en attendant le probable retrait de son nom la saison prochaine.
Dans la liste des transferts, le nom du footballeur argentin apparaît, à un prix hors d’atteinte, en guise d’hommage.
Mercato de fonctionnalités
Comme un club de football, MonPetitGazon clôturera ses comptes le 31 juillet. Comme tout club de foot, il se projette déjà sur l’avenir. Pour la saison 2019-2020, l’entreprise parisienne compte intégrer de nouveaux championnats étrangers, en plus de la Liga et de la Premier League, mais ne sait pas encore lesquels – ce sera à la communauté de gérer.
Un enjeu, aussi, pour cette firme française qui peine à exister à l’international – seulement 45 000 joueurs hors de France, essentiellement en Espagne. Dans les tuyaux, également, une option pour faire des championnats à plus de 10. Et ainsi, qui sait, peut-être s’étendre encore un peu plus, et mieux alimenter les discussions du lundi matin à la machine à café.