Assurance-chômage : la justice sociale oubliée
Assurance-chômage : la justice sociale oubliée
Editorial. Si les objectifs de la réforme sont difficilement contestables, les remèdes choisis sont particulièrement durs pour ceux qui vont s’inscrire à Pôle emploi et sont frappés du sceau de l’iniquité.
Le premier ministre Edouard Philippe devant la ministre du travail Muriel Pénicaud, lors de la présentation de la réforme de l’assurance-chômage, à l’hôtel Matignon, le 18 juin. / LUCAS BARIOULET / AFP
Editorial du « Monde ». Emmanuel Macron avait promis, pour l’acte II de son quinquennat, « plus d’humanité ». En s’exprimant, mardi 11 juin, devant l’Organisation internationale du travail (OIT), à Genève, le président de la République s’était livré à un vibrant plaidoyer en faveur de la justice sociale, refusant que « l’ajustement économique et financier » prévale « sur les droits sociaux ». Il avait même fait l’éloge du tripartisme – le fondement de l’OIT, qui recherche des compromis entre l’Etat, les employeurs et les travailleurs –, disant vouloir s’en inspirer en France.
La réforme de l’assurance-chômage, sur laquelle l’Etat avait repris la main après l’échec des négociations entre les syndicats et le patronat, le 20 février, lui fournissait l’occasion de mettre en pratique sur le dialogue social un changement de méthode. Peine perdue : la justice sociale est la grande oubliée du dispositif annoncé, mardi 18 juin, par le premier ministre, Edouard Philippe.
Les objectifs de la réforme sont difficilement contestables. Il s’agit d’abord de réaliser, entre novembre 2019 et la fin 2021, 3,4 milliards d’euros d’économies pour ne pas alourdir une dette déjà abyssale. Il s’agit ensuite, alors que le chômage est sur une courbe descendante, de réduire le nombre de chômeurs entre 150 000 et 250 000 d’ici à la fin du quinquennat. Mais les remèdes choisis sont particulièrement durs pour ceux qui vont s’inscrire à Pôle emploi et sont frappés du sceau de l’iniquité.
Quand l’Etat se substitue aux partenaires sociaux, il ne fait que des mécontents. Cela avait déjà été le cas lorsque, le 24 novembre 1982, Pierre Bérégovoy, ministre (socialiste) des affaires sociales, devant l’incapacité des syndicats et du patronat à s’entendre, avait pris un décret qui avait accentué les inégalités de traitement entre chômeurs, donnant naissance à ce qu’on avait appelé « les nouveaux pauvres ».
« 100 % de perdants, rapidement »
Prenant le risque de se mettre à dos les syndicats, mais sachant que ces mesures sont généralement bien accueillies par l’opinion, le gouvernement a sensiblement durci les règles pour bénéficier d’une indemnisation. A l’avenir, il faudra avoir été en activité pendant six mois (au lieu de quatre aujourd’hui) sur une période de vingt-quatre mois (au lieu de vingt-huit) pour toucher une allocation dont les modalités de calcul ont aussi été revues à la baisse.
Lors de la réunion entre les partenaires sociaux et le premier ministre, mardi, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a présenté plusieurs cas concrets de demandeurs d’emploi pour démontrer que cette réforme va faire, selon lui, « 100 % de perdants, rapidement ».
M. Philippe a aussi institué une dégressivité des prestations pour les cadres qui n’était pas demandée par le patronat et dont l’efficacité sur la reprise d’emploi est douteuse. Les salariés qui touchaient, lorsqu’ils étaient en poste, plus de 4 500 euros brut par mois subiront, s’ils sont au chômage à moins de 57 ans, une baisse d’allocation de 30 % au bout du septième mois.
Sur la lutte contre la précarité, l’engagement de campagne de M. Macron sur la création d’un bonus-malus pour pénaliser les entreprises qui abusent des contrats courts n’est que partiellement tenu : il ne concernera que sept secteurs, le bâtiment et le médico-social étant étrangement épargnés. La réforme comporte des mesures positives sur la formation et l’accompagnement des chômeurs, mais cela ne suffit pas à la rééquilibrer dans le sens de la justice sociale.