La ville de Bordeaux et la Fondation Gandur : des partenaires… et plus si affinités
La ville de Bordeaux et la Fondation Gandur : des partenaires… et plus si affinités
Par Emmanuelle Lequeux
La ville de Bordeaux a signé un accord triennal de coopération entre les musées municipaux et Jean-Claude Gandur, magnat du pétrole à la tête d’une des plus grandes collections d’art au monde.
Dans la culture comme ailleurs, un partenariat privé-public, cela n’a rien d’original. En revanche, un accord signé entre une ville et une collection particulière, voilà qui est plus rare, voire inédit. Bordeaux innove donc en prenant langue avec Jean-Claude Gandur, acteur majeur de la scène artistique internationale. Né à Grasse (Alpes-Maritimes), élevé à Alexandrie, en Egypte, installé en Suisse depuis 1961, ce tycoon du pétrole est à la tête d’une collection magistrale de près de 3 400 œuvres. Des trésors rassemblés depuis 2010 sous l’égide de la Fondation Gandur pour l’art, à Genève. Archéologie, ethnologie, beaux-arts et arts décoratifs, aucun domaine ne lui échappe.
Mais pas question que ses bronzes égyptiens, sculptures baroques, masques papous et autres coyotes à plumes restent enfermés dans des réserves ! Le milliardaire prête aisément, notamment en France. L’an passé, il a fait voyager 60 de ses tableaux. Ont bénéficié de ses faveurs le Musée Fabre de Montpellier, le MuCEM de Marseille, le Palais des beaux-arts de Lille, et, ce printemps, le Musée des beaux-arts de Dijon, rouvert après travaux. Un partenariat le lie également à l’institution madrilène Reina Sofia, ainsi qu’avec les musées de Genève, ville à laquelle il a un jour rêvé d’offrir un bâtiment signé Jean Nouvel, avant que les Suisses ne boudent son projet par votation.
Accord triennal
Mais avec Bordeaux, Gandur passe à la vitesse supérieure. L’an passé, il a signé avec le maire, Alain Juppé, un accord triennal de coopération entre les musées municipaux et sa fondation. Cette dernière est ainsi le prêteur majeur de l’exposition d’été du CAPC consacrée à la figuration narrative, école de peinture des années 1970 pour laquelle l’éclectique amateur s’est pris d’une passion récente, et dont il a raflé tous les chefs-d’œuvre disponibles sur le marché. D’autres pièces de la collection sont aussi exposées à la Cité du vin, qui célèbre Bacchus.
Enfin, l’an prochain, le Musée d’Aquitaine sollicitera beaucoup la collection genevoise, parmi d’autres, pour monter son exposition consacrée aux « Images du pouvoir ». Jean-Claude Gandur observe bien sûr de près le montage de ces programmes : « Mais les conservateurs sont sur le pont, je ne me suis pas beaucoup investi dans l’organisation. Je suis mécène peut-être, esthète sûrement, mais conservateur, vraiment, non. »
N’allez pas pour autant lui parler de « partenariat » : « Attention, il ne s’agit pas encore de cela. Nous réalisons simplement des expositions ensemble pour comprendre si nous sommes complémentaires », se plaît à préciser l’habile négociateur. Une façon, pour les deux associés, de tâter le terrain. « Il n’est pas question que nous livrions nos musées clés en main à un privé, c’est vraiment un dialogue, assure de son côté Claire Andries, directrice des affaires culturelles de la ville. Il est essentiel d’avancer doucement, d’apprendre à se connaître sur de vrais projets. »
Trois ans pour se séduire
Quant à Jean-Claude Gandur, à 70 ans, il ne s’en cache pas : « Je dois penser à l’avenir de mes collections, c’est une vraie préoccupation, nous confie-t-il. J’ai donc examiné un certain nombre de villes en France qui pourraient accueillir un jour ma fondation. » Montpellier l’a approché il y a quelques années, et puis « Rouen, Lyon et Nice, qui a ses avantages »… L’île Seguin (Hauts-de-Seine), comme cela a parfois été suggéré ? « Il n’a jamais été question que je mette mes collections là-bas, je participe simplement au projet comme cofinancier. » Bordeaux ? Il y est arrivé par le hasard de rencontres. « J’ai été extrêmement bien accueilli, avec beaucoup d’écoute, et les troupes travaillent aujourd’hui d’arrache-pied pour faire de cette saison un succès. »
En attendant d’arrêter sa décision, le très convoité collectionneur a identifié une liste de conditions sine qua non pour sa cité idéale : « Ce doit être un grand bassin humain, avec des mouvements estivaux de tourisme qui renouvellent les visiteurs ; une ville qui a un véritable attrait du point de vue historique, et une offre muséale, disons… ni trop ni trop peu. Nous ne voulons pas être le petit musée à l’ombre des grands. » Gandur et Bordeaux se sont donc donné trois ans pour se séduire, et plus si affinités.
La cité girondine coche-t-elle toutes les cases ? « En tout cas, cette ville rayonne, son cœur est magnifiquement mis en valeur, comme ses quais, concède-t-il. Il y a vingt ans, elle n’avait aucun attrait, aujourd’hui on en parle partout. » Outre ses musées, qui couvrent tous les horizons, elle dispose de terrains vierges sur sa rive nord, en pleine réhabilitation, « une dynamique extraordinaire ». Car il s’agit bien sûr de construire, « avec de jeunes architectes, surtout pas des stars », et de faire paysage : « Je veux un lieu où il fait bon pique-niquer, écouter de la musique, pas un musée urbain. »
L’imagination au pouvoir
On comprend que les candidatures se bousculent au portillon. « Aujourd’hui, la réputation de notre fondation n’est plus à faire, tous nos partenaires potentiels sont rassurés quant à l’inaliénabilité de nos objets : cela rassure énormément les conservateurs de savoir que l’on n’utilise pas leurs cimaises pour faire le lendemain commerce des œuvres exposées. Il n’est pas question pour moi de privatiser un musée public ! »
Une dernière condition ? Il choisira une ville qui a à cœur de « faire entrer la culture dans le tissu social. Je suis un homme d’action, je ne me contenterai pas d’accrocher des tableaux sur des cimaises, je veux créer un nouveau modèle de musée, précise-t-il. La médiation est essentielle, pour faire comprendre à tous, et notamment aux enfants, que le musée n’est pas un lieu de l’élite mais du plaisir. Les habitants doivent se reconnaître dans leur musée, comme c’est le cas au Reina Sofia ».
Tout ce qu’il désire, c’est que l’imagination soit au pouvoir. Bienvenue, donc, aux artistes vivants. « Je ne suis pas encore arrivé jusque-là dans ma collection, même si j’ai progressé en partant de l’archéologie pour arriver aujourd’hui aux années 1970, confie Jean-Claude Gandur. Je ne veux pas participer à la folie du marché qui s’est emparé du contemporain, mais je sais en revanche que tout musée doit être pionnier, et montrer l’avenir autant que le passé. Exposer Monet ? Peu de chance de se tromper ! Mais tout risquer sur un jeune artiste, voilà qui est bien plus intéressant. »
Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Bordeaux-Métropole.