Les secrets de la longévité des chauves-souris
Les secrets de la longévité des chauves-souris
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
Une équipe internationale a mis en évidence les mécanismes d’expression des gènes qui permettraient à ces petites bêtes de vivre longtemps et en bonne santé.
« Zoologie ». Les chauves-souris effraient les uns, fascinent les autres. Chacun ou presque le sait : non contentes de posséder nos sens habituels, ces bestioles en ont développé un sixième, l’écholocation. Elles émettent ainsi des clics dont la réflexion sur les objets alentour lui permet d’entendre de nuit comme d’autres voient en plein jour. Autre particularité, et pas des moindres pour un mammifère : elles volent.
Mais il est encore une spécificité, nettement moins connue celle-là : leur longévité. Chez les mammifères, une règle presque intangible veut que les plus gros vivent plus longtemps. Nous autres humains y faisons figure d’exception, avec une durée d’existence particulièrement élevée compte tenu de notre poids. Un ours brun, communément quatre fois plus lourd, vit ainsi en moyenne deux fois moins longtemps. Dix-neuf espèces font toutefois encore mieux que nous, parmi lesquelles dix-huit espèces de chauves-souris (la dix-neuvième est le rat-taupe nu, autre merveille de la nature).
« Myotis myotis » / PATRICK PLEUL / AFP
Champion incontesté, le minuscule murin de Brandt, avec ses 7 grammes, taquine les quarante printemps. Le grand murin (Myotis myotis), cinq fois plus lourd, en fait autant. Mais outre qu’il reste 2 000 fois plus léger que nous, il présente l’avantage de vivre dans nos contrées. Une équipe internationale s’est lancée dans une étude longitudinale de huit ans pour tenter de percer les mécanismes moléculaires capables d’expliquer la santé insolente de l’animal. Ses résultats, publiés le 10 juin, dans la revue Nature Ecology & Evolution ouvrent des pistes prometteuses pour la recherche sur le vieillissement.
L’équipe s’est appuyée sur les naturalistes de la Société d’étude et de protection de la nature de Bretagne (SEPNB) pour collecter 70 individus, d’âge connu, et les suivre pendant huit ans. Les biologistes de l’University College de Dublin ont ensuite réalisé le séquençage du transcriptome de 150 prélèvements sanguins. Contrairement au génome, composé d’ADN, le transcriptome est constitué par l’ensemble des ARN issus de la transcription du génome. Il permet d’étudier l’expression des gènes et « d’obtenir ainsi rapidement une vision d’ensemble des processus en cours chez un organisme », explique Sébastien Puechmaille, maître de conférences à l’université de Montpellier, et l’un des signataires de l’article.
L’analyse de quelque 1 700 milliards de bases a mis en évidence « des patrons d’expression de gènes tout à fait originaux », souligne Eric Petit, de la SEPNB. Des comparaisons ont, en effet, été réalisées entre Myotis myotis et trois autres espèces : la souris, le loup et l’homme. Là où, chez les autres mammifères, les voies métaboliques associées à la réparation de l’ADN, à l’immunité, à l’autophagie (nettoyage et recyclage des cellules) ou à la suppression des tumeurs faiblissent avec l’âge, celles du grand murin demeurent intactes.
Absence de cancers
En étudiant cette fois les micro-ARN, des médiateurs de la régulation de l’expression des gènes, les biologistes ont eu confirmation de ces résultats. Ainsi, non seulement les micro-ARN liés à la suppression des tumeurs augmentent avec l’âge, mais ceux favorables à la carcinogenèse, un mécanisme de formation des cancers, diminuent dans le temps chez le grand murin. De quoi expliquer chez lui l’absence totale de cette pathologie. Pour asseoir encore la démonstration, les chercheurs irlandais ont modifié génétiquement des souris en s’inspirant des résultats trouvés sur la chauve-souris : les rongeurs ont vu leur longévité augmenter.
Derrière les murins pointent évidemment les humains. « Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives et identifient de nouvelles cibles pour combattre le vieillissement », se réjouit Sébastien Puechmaille. Ils offrent une leçon plus fondamentale encore pour la science en montrant le parti à tirer de l’étude non pas d’espèces modèles, telles les souris, mais d’animaux extraordinaires. L’exception plutôt que la règle.