« I Love Legrand » : Michel Legrand, la bande-son d’une vie
« I Love Legrand » : Michel Legrand, la bande-son d’une vie
Par Mouna El Mokhtari
Tout l’été, France Inter rend un vibrant hommage posthume au compositeur en retraçant les grandes étapes de sa carrière.
Michel Legrand lors d’un concert à Paris en 1970. / AFP
Il fallait bien au moins neuf épisodes d’environ cinquante minutes pour arriver à tout dire de l’œuvre protéiforme de Michel Legrand. C’est l’entreprise dans laquelle s’est lancée l’une de ses fans, la journaliste Leïla Kaddour-Boudadi. Michel Legrand avait accepté de se raconter, mais la journaliste n’a pas eu le temps de le rencontrer. C’est donc sa famille, ses amis, musiciens, journalistes et biographe qui retracent son parcours, entrecoupé d’extraits musicaux. Michel Legrand est néanmoins présent, grâce aux archives de l’INA.
Le récit commence aux racines : Michel Legrand décrit une enfance « grise » et « solitaire », marquée par l’absence du père, Raymond Legrand, chef d’orchestre populaire. L’ennui n’est trompé que par un vieux piano Pleyel sur lequel il s’amuse à retrouver les accords des musiques qu’il écoute. L’entrée au Conservatoire sera une seconde naissance, et la professeure Nadia Boulanger, à qui il ne cessera de rendre hommage par la suite, « sa mère de musique ».
Le deuxième épisode débute au sortir de la seconde guerre mondiale, alors que le jazz se diffuse en France. Michel Legrand étudie encore la musique quand il rencontre le producteur Jacques Canetti. Avec lui, au Théâtre des Trois Baudets, il accompagne Juliette Gréco ou Henri Salvador, et devient l’arrangeur et l’orchestrateur de la fine fleur de la chanson française, de Léo Ferré au jeune Claude Nougaro. Sa musique traverse l’Atlantique et un voyage aux Etats-Unis est l’occasion pour lui d’importer, en le tournant en dérision, le débutant rock’n’roll.
Jazz et Nouvelle Vague
Trêve de parodie, c’est après un concert de Dizzy Gillespie à la Salle Pleyel que Michel Legrand est emporté par l’élan qui le pousse vers le jazz, cette « pulsation mystérieuse ». Le troisième épisode raconte la fabrication de l’album référence Legrand jazz (1959), sur lequel il réunit Miles Davis, John Coltrane, Bill Evans et Herbie Mann.
C’est au sommet de la gloire qu’il décide, comme souvent, de s’aventurer ailleurs. « A l’aide des films, on a des idées qu’on n’aurait pas eues sans », explique-t-il. Ainsi naissent, alors que personne n’y croit au départ, Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort ou Peau d’âne. Les épisodes 4 et 5 sont donc consacrés au cinéma, à la Nouvelle Vague et à son amitié avec Jacques Demy.
Dans l’épisode 6, on le retrouve aux Etats-Unis où il sauve le film L’Affaire Thomas Crown (1968), de Norman Jewison, avec ses compositions musicales. C’est elles qui décideront du montage final du film, et Michel Legrand remporte l’oscar de la meilleure chanson originale pour The Windmills of your Mind. I Love Legrand consacre, ensuite, un épisode à sa passion pour le chant et les voix d’exception. Sa collaboration avec Barbra Streisand sur le film musical Yentl (1983) lui offre un nouvel Oscar. Il chante lui-même, avec une énergie « contagieuse », avec le plaisir en ligne de mire. L’avant-dernier épisode explore le mouvement permanent chez Michel Legrand, compositeur éclectique, dans un pays où ce talent est peu reconnu. « Enfin, faut être un aventurier, merde ! », s’exclamait-il, irrité par l’idée même de routine en musique. Qui pour prendre sa relève ?
Le neuvième et dernier volet nous offre un autre regard sur Michel Legrand, avec une plongée dans sa vie d’homme, éclairante sur son œuvre. On sort de cette jolie fresque sonore avec le sentiment d’avoir presque percé les mystères d’un génie touche-à-tout et insatiable.
I Love Legrand, par Leïla Kaddour-Boudadi et Fanny Bohuon, à la demande et tous les samedis de l’été à 10 heures, France Inter. 9 × 55 minutes.