La première des deux étapes de transition, entre Nîmes, dans le Gard, et Nîmes, dans le Gard, a été animée par l’échappée de cinq hommes repris à deux kilomètres de l’arrivée et remportée par le sprinteur australien Caleb Ewan, qui a tiré profit du travail de la Deceuninck-Quick Step pour Elia Viviani avant de devancer l’Italien sur la ligne. Pour le peloton, l’étape n’a pas été de tout repos. Plus qu’une journée avant le bouquet final.

Caleb Ewin. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Il faisait une chaleur à se balancer en slip dans le Gard, mais les 163 coureurs du Tour de France ont préféré rouler 176 kilomètres à vélo, tout ça, qui plus est, pour arriver à deux kilomètres de leur point de départ. La 16e étape proposait mardi une boucle de Nîmes à Nîmes, entre les majestueuses arènes des temps anciens et l’un peu moins majestueuse arène des temps modernes qu’est le stade des Costières, dont la comparaison permet de douter des progrès effectués par l’humanité en dix-neuf siècles, mais ce n’est pas le débat.

Après les trois étapes étourdissantes de Pau, du Tourmalet et de Prat d’Albis, et avant trois étapes qui nous donnent déjà le vertige dans les Alpes, à partir de jeudi, l’insolation était a priori le seul danger qui guettait les coureurs au fil de leur virée gardoise par 35° à l’ombre. Les restrictions d’eau imposées dans une partie du département ne concernaient heureusement pas le peloton, qui ne s’est pas privé d’en faire usage tout au long d’une journée rendue plus chaude encore que prévu par les faits de course.

A la journée de repos devait succéder une journée de transition typique, aux airs de « journée de repos bis » : belles images pour France Télévisions, échappé de Stéphane Rossetto, retour du peloton à deux kilomètres et sprint massif. La trame générale a été respectée, à quelques détails près, même si l’on suppose que Geraint Thomas, Nairo Quintana et Jakob Fuglsang ne seront pas d’accord avec notre conception du détail.

Troisième chute pour Thomas

Le Britannique s’est dévoué pour être le premier animateur de la journée, en allant visiter pour la troisième fois le bitume des routes du Tour, après sa chute dans le final à Bruxelles (1ère étape) et son vol plané sur le chemin de Saint-Etienne (8e). C’était après 50 bornes, et le tenant du titre s’en est tiré avec quelques éraflures : « Je ne pense pas que cela m’affectera dans les montagnes. »

Chute pour Thomas / Crash for Thomas - Étape 16 / Stage 16 - Tour de France 2019
Durée : 00:30

Le grimpeur colombien, lui, a abandonné ses ambitions au général, qu’il avait en réalité déjà abandonnées dans les Pyrénées, en ne suivant pas l’accélération du peloton dans le dernier kilomètre : une minute de perdue sur la concurrence. Le voilà 12e, à 9 minutes de la tête, et au service de ses coéquipiers Mikel Landa et Alejandro Valverde (qui sont aussi ses amis, selon cette vidéo officielle de la Movistar, mais permettez-nous de hurler à la mise en scène).

Quant au Danois, présenté comme un candidat à la victoire finale au départ, il l’est un peu moins désormais, dans la mesure où il ne l’est plus du tout. Le leader d’Astana avait lancé son Tour par une méchante chute près de Bruxelles dès la première étape, il l’achève de la même manière, 27 kilomètres avant Nîmes, et quitte la course, main gauche bousillée. Fuglsang, 34 ans, était en larmes en entrant dans le camion médical à l’arrivée. Encore un rendez-vous manqué entre lui et le Tour, où il n’a jamais fait mieux que 7e, en 2013.

Jakob fout l’camp. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Au sujet des chutes, Mikaël Chérel (AG2R), coéquipier chez AG2R de Romain Bardet, avançait une explication : « Il n’a pas dû pleuvoir depuis longtemps ici, et dans les villages il y avait un peu de carburant sur la route, je pense, un peu d’huile, et c’est à l’origine des chutes. C’était glissant dans les virages. »

Il n’a pas plu, mais les routes ont été copieusement arrosées par les coureurs, qui ont tous battu leur record de bidons vidés dans le gosier ou sur la tête. « Trois par heures », soit 12 pour Guillaume Martin. « Deux par demi-heure », soit 16 pour le combatif du jour Alexis Gougeard. « Une dizaine, plus deux ou trois pour s’arroser, plus les petits glaçons glissés dans le casque », pour Roger Kluge, équipier du vainqueur du jour, Caleb Ewan, que l’Allemand promet de remettre dans de bonnes conditions pour le sprint final à Paris dimanche, « si on survit d’ici là ».

36° degrés sont prévus au départ du Pont du Gard, mercredi. Il est censé faire moins chaud les jours suivants dans les Alpes, mais Météo France n’a sans doute pas intégré dans ses prévisions que le Tour viendrait y faire grimper dangereusement la température.

Le peloton enjambe le pont du Gard, qui enjambe encore plus le peloton. / Christophe Ena / AP

Le Tour du comptoir : Nîmes

Après chaque étape, « Le Monde » vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Où l’on n’a pas vu Nairo Quintana.

Federico et Ana ont sorti le drapeau tricolore, le jaune-rouge-bleu, et les petits fanions qui donnent un air de fête foraine. Midi, on sirote une bière colombienne sur les tables posées dans la ruelle. A 50 mètres, les barrières qui bloquent l’accès aux cars de Nairo Quintana, Rigoberto Uran, Egan Bernal et Sergio Henao, les quatre Colombiens du Tour qui sont si beaux dans l’esprit de Federico qu’ils les pensaient huit. C’est un peu triste : Federico doit tenir le comptoir et ne peut aller saluer ses compatriotes, alors qu’une idole nationale est là, dans la rue perpendiculaire. Ana tentera sa chance avec un maillot de la sélection nationale qui a bien servi pour soutenir les Cafeteros il y a un an.

Ils regrettent l’époque de Cafe de Colombia ou Postobon Manzana, les équipes colombiennes qui s’alignaient sur les grands tours et damaient parfois le pion aux Européens, première pierre de l’internationalisation du vélo. Maintenant, les Colombiens sont parfois obligés de se rouler dessus, cela n’a pas de sens. Et puis, Nairo l’a déçu : « Je pensais qu’il allait donner plus, mais depuis qu’il a gagné le Giro en 2014, on n’en entend plus parler. »

Federico et Ana sont arrivés en France il y a 30 ans, à la moitié de leur vie. « En 1989, je suis parti de Colombie comme n’importe quel jeune part à l’aventure, chercher sa vie. Je visais l’Angleterre, mais on ne m’a pas laissé entrer. Je suis retourné à Paris, mais au bout d’un mois, je n’ai pas supporté. Ma cousine habitait à Nîmes, elle m’a dit de la rejoindre. Ici, c’est bien pour nous. Une ville tranquille, la chaleur, plein de fêtes..»

Dans le Gard, Federico peint et maçonne, gagne sa croûte et s’abîme la santé. Le genou et le dos couinent de plus en plus fort. « Il y a quelques années, le docteur m’a dit que je n’allais pas durer longtemps si je continuais. » Enfant, à Cali, il regardait sa mère cuisiner, posait des questions, versait la farine. A Nîmes, il est devenu celui à qui la communauté colombienne commandait des empanadas, sa spécialité. Pourquoi ne pas y gagner sa retraite ? Federico avise un local, refait tout, monte une gargotte, une poignée de tables à l’intérieur, davantage sur le pavé.

Il sert les Nîmois de Colombie et les Colombiens de Nîmes, mais pas que, puisqu’à Montpellier, il n’y a, paraît-il, nul restaurant colombien : la petite communauté montpelliéraine traverse donc le Vidourle pour retrouver le pays chez Federico. Pour les fortes chaleurs, il conseille des tostadas, c’est léger. Les Colombiens de la Légion étrangère (2e régiment étranger d’infanterie, stationné à Nîmes), dont les rations sont rikiki, commandent quoi qu’il arrive une bandeja paisa, car ça remplit bien. Et pour Quintana ? « S’il passe, je lui prépare un tamal, ça lui redonnera un peu de forces. »