Des manifestants brûlent des pneus lors d’un rassemblement à Khartoum samedi 27 juillet. / MOHAMED NURELDIN ABDALLAH / REUTERS

La répression de la contestation au Soudan a fait de nouvelles victimes. Cinq manifestants, dont quatre lycéens, ont été tués par balles lundi 29 juillet lors d’un rassemblement dans la ville soudanaise d’Al-Obeid, suscitant la colère au sein du mouvement de contestation qui a dénoncé « un massacre » et appelé à de nouveaux rassemblements.

A la suite de ces violences survenues à la veille d’une reprise des négociations entre pouvoir militaire et contestation pour finaliser un accord sur la transition, les autorités ont imposé un couvre-feu nocturne dans la ville d’Al-Obeid et trois autres localités de l’Etat du Kordofan-Nord (centre). Les cours sont également suspendus dans toutes les écoles de l’Etat.

Pays pauvre à l’économie exsangue, le Soudan est en proie à un mouvement de contestation depuis décembre 2018. Déclenchées après le triplement du prix du pain, les manifestations se sont transformées en opposition au régime et ont poussé l’armée à destituer et arrêter le 11 avril le président Omar Al-Bachir, qui a dirigé le pays durant trente ans. Elles se sont poursuivies, malgré la mise en place d’un Conseil militaire, la population réclamant un pouvoir civil et de meilleures conditions de vie.

Lundi à Al-Obeid, « cinq martyrs sont tombés sous les tirs de snipeurs lors d’un rassemblement pacifique », a affirmé un comité de médecins proche du mouvement de contestation, faisant état d’un nombre indéterminé de blessés. Selon Babikir Faisal, un des leaders de la contestation, « quatre lycéens font partie des cinq martyrs ».

Pénurie de pain et de carburant

La ville n’a pas connu de manifestations importantes depuis le début de la contestation. Mais un résident, contacté par l’Agence France-Presse (AFP), a expliqué que le rassemblement de lundi avait été organisé afin de protester contre « une pénurie de pain et de carburant dans la ville ces derniers jours ». « Les écoliers ont été affectés par l’absence de transports pour les conduire à l’école », a-t-il souligné. « Aujourd’hui, ils ont manifesté et, quand leur marche a atteint le centre-ville, il y a eu des coups de feu. »

L’Association des professionnels soudanais (SPA), l’un des principaux membres de la contestation, a dénoncé un « massacre » : « Nous appelons notre peuple à descendre dans la rue (…) pour dénoncer le massacre d’Al-Obeid et exiger que les coupables soient traduits en justice. » La SPA a affirmé que des « balles réelles » avaient été tirées contre ce qu’elle a présenté comme une « manifestation d’écoliers ».

Peu après, des centaines manifestants se sont réunis à Bahari et Burri, des quartiers de Khartoum, et la police anti-émeute a tiré des gaz lacrymogènes pour les disperser, ont rapporté des témoins.

L’association SPA a aussi appelé sur sa page Facebook « citoyens, médecins et secouristes à se rendre aux urgences dans les hôpitaux qui reçoivent les blessés atteints par des balles réelles ». Un leader de la contestation a aussi appelé à suspendre les discussions politiques entre pouvoir et contestation. « Nous ne pouvons pas nous asseoir à la table des négociations avec ceux qui permettent de tuer des révolutionnaires », a affirmé dans un communiqué Siddig Youssef.

Mardi, le Conseil militaire et les chefs de la contestation sont censés reprendre les négociations pour finaliser certains points en suspens après la conclusion d’un accord de partage du pouvoir le 17 juillet. Cet accord, obtenu à la suite de négociations difficiles, prévoit un Conseil souverain, composé de cinq militaires et six civils, qui sera chargé de mener la transition pendant un peu plus de trois ans. Un comité technique représentant les deux parties doit tenir des discussions préliminaires lundi.

L’appel à de nouveaux rassemblements émis lundi intervient alors que plusieurs manifestations ont eu lieu depuis samedi à Khartoum pour protester contre les conclusions d’une enquête officielle sur la répression meurtrière d’un sit-in de manifestants le 3 juin dans la capitale soudanaise, qui a fait des dizaines de morts. Un comité de médecins proche des protestataires avait, pour sa part, comptabilisé 127 morts parmi les manifestants.

L’enquête officielle a conclu samedi à l’implication de huit paramilitaires, dont trois au moins sont membres des redoutées Forces de soutien rapide, dirigées par le numéro deux du Conseil militaire, Mohammed Hamdan Daglo, qui avait auparavant nié toute responsabilité de ses forces.

Les chefs de la contestation ont rejeté les conclusions de l’enquête, qui évoque un bilan des victimes moins élevé que le leur et exonère la responsabilité du Conseil militaire. Ce dernier a, en effet, affirmé n’avoir pas donné les ordres pour la dispersion. Depuis décembre, la répression de la contestation a fait 246 morts, y compris les 127 manifestants tués le 3 juin, selon le même comité de médecins.