Algérie : questions après le limogeage du ministre de la justice par le président par intérim
Algérie : questions après le limogeage du ministre de la justice par le président par intérim
Abdelkader Bensalah n’a pas respecté la Constitution qui interdit tout remaniement ministériel jusqu’à ce qu’un nouveau chef de l’Etat soit élu.
Le président algérien par intérim, Abdelkader Bensalah, a limogé, mercredi 31 juillet, le ministre de la justice, Slimane Brahmi, et l’a remplacé par Belkacem Zeghmati, actuel procureur d’Alger, selon un communiqué de la présidence cité par les médias publics.
Aucun motif n’est précisé dans ce communiqué et parmi les analystes et experts interrogés par l’AFP, nul n’était en mesure d’expliquer dans l’immédiat ce limogeage inattendu et vraisemblablement contraire à la Constitution.
Il intervient alors que la justice algérienne est accusée d’être instrumentalisée par le pouvoir dans les multiples procédures pour corruption lancées contre des proches du président déchu Abdelaziz Bouteflika, mais aussi dans la répression du Hirak, le mouvement de contestation inédit qui agite l’Algérie depuis le 22 février. Le communiqué de la présidence précise simplement que le changement de portefeuille s’est fait « conformément à la Constitution (…) après consultation du premier ministre Noureddine Bedoui ».
Changement de portefeuille
Pourtant, M. Bedoui et son gouvernement ont été nommés le 31 mars par le président Abdelaziz Bouteflika, qui a démissionné deux jours plus tard, le 2 avril, sous les pressions conjuguées de la contestation et de l’armée.
Or, l’article 104 de la Constitution algérienne indique que le gouvernement en fonction au moment de la démission du président de la République « ne peut être démis ou remanié jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau » chef de l’Etat.
La présidentielle prévue le 4 juillet pour élire le successeur de M. Bouteflika n’a pu être organisée faute de candidats et la période d’intérim de quatre-vingt-dix jours maximum, prévue par le texte fondamental, a expiré début juillet.
Magistrat à la longue carrière, M. Brahmi est remplacé par Belkacem Zeghmati, qui était depuis mai procureur général de la cour de justice d’Alger (qui regroupe cour d’appel, chambre d’accusation et tribunal criminel), poste qu’il avait déjà occupé entre 2007 et 2016.
Il s’y était notamment fait connaître en émettant en 2013 un mandat d’arrêt international pour corruption contre Chakib Khelil, très puissant ancien ministre de l’énergie durant dix ans et proche du président Bouteflika. Alors à l’étranger, M. Khelil n’était rentré en Algérie qu’en 2016, après l’annulation pour « vice de forme » du mandat d’arrêt, et le limogeage de M. Zeghmati.
Série d’enquêtes
Depuis la démission de M. Bouteflika, la justice algérienne a ouvert une série d’enquêtes pour corruption visant plusieurs ex-haut responsables de la présidence Bouteflika (1999-2019) et des hommes d’affaires accusés d’avoir profité de leurs liens privilégiés avec son entourage.
Deux anciens premiers ministres, six anciens ministres, un ancien directeur général de la police, plusieurs ex-dirigeants d’entreprises publiques et une dizaine d’hommes d’affaires ont été placés en détention préventive ces derniers mois.
Censées satisfaire la contestation en lui offrant des « têtes », ces enquêtes – encouragées publiquement par le chef d’état-major de l’armée le général Ahmed Gaïd Salah, véritable homme fort depuis la démission de M. Bouteflika – pourraient également servir, selon les observateurs, à régler des comptes au sommet du pouvoir.
Le Hirak accuse de son côté la justice d’agir sur ordre quand elle place en détention préventive des manifestants arrêtés ou les inculpe d’« atteinte à l’unité nationale » pour avoir brandi le drapeau culturel amazigh (berbère), dont la présence dans les cortèges a été interdite par le général Gaïd Salah.
Mardi, ce dernier a écarté « catégoriquement » la possibilité de toute libération des personnes arrêtées en lien avec le mouvement de contestation, l’une des « mesures d’apaisement » auxquelles s’était dit prêt le président Bensalah en vue du dialogue qu’il entend mener pour organiser la présidentielle.
Nul ne peut « interférer » dans les « prérogatives » de la justice ou « tenter d’influer sur ses décisions », a martelé le chef d’état-major de l’armée, mettant sérieusement à mal la mission d’une « instance de dialogue » qui a exigé ces mesures avant de commencer son travail.