Un avion de la compagnie Cathay Pacific à l’aéroport international de Hongkong, le 14 août 2019. / THOMAS PETER / REUTERS

Un climat de peur s’est installé au sein de la compagnie aérienne de Hongkong, Cathay Pacific, entraînée dans la crise politique sans précédent qui secoue le territoire à statut spécial, alors que Pékin fait durement pression sur toute entreprise soupçonnée de sympathie pour le mouvement prodémocratie.

La semaine dernière, Cathay Pacific avait provoqué la colère des nationalistes chinois après que certains de ses 27 000 employés eurent pris part aux manifestations prodémocratie ou exprimé leur soutien au mouvement. Les dirigeants de Cathay se sont empressés de rassurer Pékin en prenant leurs distances par rapport à la mobilisation prodémocratie, promettant de licencier tout employé soutenant ou participant à des manifestations illégales. La compagnie a déjà licencié deux employés et suspendu un pilote, tous liés aux manifestations. Elle a encore procédé mercredi 14 août au limogeage de deux autres pilotes.

Dépendant de la Chine continentale

Désormais, certains employés dénoncent au sein du groupe un climat de peur et de suspicion, alors que beaucoup craignent d’être espionnés par des collègues cherchant à connaître leurs opinions politiques. « J’ai l’impression qu’on est réduit au silence. On ne peut même pas afficher son soutien [au mouvement prodémocratie] sur les réseaux sociaux », s’est inquiétée une hôtesse de l’air citée par l’Agence France-Presse (AFP). « De nombreux collègues disent que des personnes pourraient envoyer des listes de sympathisants des manifestations illégales à la direction de l’entreprise. Cela fait vraiment peur à tout le monde. »

Cette crise intervient alors que la compagnie sort d’une période de difficultés économiques. Les manifestations de masse à l’aéroport international de Hongkong, l’un des plus actifs du monde, ont provoqué des centaines d’annulations de vols alors que Cathay Pacific commence à redresser ses comptes après deux années déficitaires. Dépendante de la Chine, la compagnie doit se plier aux contraintes imposées par Pékin. Ainsi, à partir de dimanche, Cathay Pacific devra fournir à la direction générale de l’aviation chinoise les noms des personnels navigants à bord de ses vols à destination de la Chine ou traversant son espace aérien.

Lundi, à la Bourse de Hongkong, le titre de la compagnie aérienne a plongé de 4,37 % après cette annonce et encore reculé de 2,6 % mardi, avant de reprendre 2,83 % mercredi. Les analystes estiment que Cathay est très vulnérable à tout boycott de Pékin. « Ils sont extrêmement dépendants du marché continental chinois », a relevé Brendan Sobie, analyste du Centre for Aviation, soulignant qu’un cinquième des vols de la compagnie sont à destination ou en provenance de la Chine continentale tandis que les passagers chinois représentent environ 80 % des passagers sur les vols vers d’autres marchés.

« Cathay Pathetic »

Des appels à boycotter la compagnie se sont d’ailleurs répandus sur les réseaux sociaux et le hasthag #boycottCathayPacific, apparu la semaine dernière sur le site de Sina Weibo, a généré jusqu’à mercredi plus de 45 millions de vues. Face à la colère de Pékin, Cathay tente de limiter les dégâts. Swire Pacific, un conglomérat basé à Hongkong qui est le principal actionnaire de Cathay, a publié un communiqué y affirmant « soutenir fermement » le gouvernement de Hongkong et partager la vision du gouvernement central chinois.

« Nous soutenons résolument le gouvernement de la région semi-autonome de Hongkong, la chef de l’exécutif et la police dans leurs efforts en vue de rétablir l’ordre public », a annoncé Swire Pacific, précisant qu’elle se conformerait à toutes les réglementations que lui imposerait Pékin. Cathay a publié une déclaration similaire mardi : « Nous devons agir maintenant pour mettre fin à la violence et préserver la stabilité, la paix et la prospérité de Hongkong. »

Les experts soulignent que le transporteur n’a eu d’autre choix que de se distancier sans équivoque. « Quels que soient les sentiments personnels, il s’agit d’une société cotée en Bourse, ils doivent rendre des comptes à leurs actionnaires. Et les affaires chinoises sont cruciales pour eux », a déclaré à l’AFP un analyste du secteur qui a souhaité conserver l’anonymat. L’artiste dissident chinois Badiucao, résidant en Australie, s’en est moqué dans une caricature rapidement devenue virale, résumant le sentiment du mouvement prodémocratie en rebaptisant la compagnie aérienne « Cathay Pathetic » – le C transformé en marteau et faucille, emblèmes communistes.

Pourquoi Hongkong est (encore) dans la rue
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