Tunisie : mort de Néjib Ayed, directeur des Journées cinématographiques de Carthage
Tunisie : mort de Néjib Ayed, directeur des Journées cinématographiques de Carthage
Par Mohamed Haddad (Tunis, correspondance)
Le producteur a succombé à un accident cardiaque, vendredi 16 août, alors qu’il préparait la prochaine édition du festival, prévue à l’automne.
Néjib Ayed, directeur des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) depuis 2017, est mort, vendredi 16 août, à l’âge de 65 ans. Près d’un millier de personnes – familles, amis et confrères – ont tenu à assister, dimanche à Sousse, aux funérailles du producteur, dont le décès a été un choc pour la scène culturelle en Tunisie. Exceptionnellement, les femmes l’ont accompagné pour un dernier hommage, un interdit social sereinement remis en cause pour l’occasion.
Dans son oraison funèbre, le ministre de la culture, Mohamed Zinelabidine, a rappelé que Néjib Ayed se réjouissait à l’idée que la Tunisie était devenue « un pays de cinéma alors qu’elle n’était qu’un pays de films ». Depuis la révolution de 2011, le septième art connaît en effet un renouveau qui s’illustre par l’arrivée d’une nouvelle génération de réalisateurs et d’acteurs affranchis du poids de la dictature. Les films tunisiens font désormais recette et s’imposent dans les compétitions internationales.
Néjib Ayed était à la tête de l’une des manifestations stratégiques du cinéma en Tunisie : les JCC. Il a dirigé les deux dernières éditions et a succombé à un accident cardiaque alors qu’il préparait la prochaine, prévue à l’automne. Le rayonnement retrouvé de ce grand rendez-vous du « cinéma du Sud » lui doit beaucoup. Aidé par l’inauguration, au printemps 2018, d’une Cité de la culture (un complexe de salles et de galeries) au cœur de la capitale et par la dématérialisation de la billetterie, Néjib Ayed a travaillé d’arrache-pied pour faciliter la vie des spectateurs. Il a renforcé la présence des films dans la Tunisie intérieure et même dans les prisons. Désormais, obtenir des tickets n’est plus un parcours du combattant mais plutôt une course contre la montre, tant l’affluence est considérable.
Passion et engagement
Né en 1953 à Ksar Hellal, dans la région de Sousse, Néjib Ayed fait partie d’une génération qui a conjugué passion du cinéma et engagement quasi militant au sein de la Fédération tunisienne des ciné-clubs. Dans les années 1970 marquées par l’autoritarisme bourguibien, ces cercles représentent des espaces d’apprentissage politique. Après des études de lettres françaises, Néjib Ayed s’essaie à la critique cinématographique avant de rejoindre, en 1980, la Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique (Satpec), une institution publique (privatisée depuis) qui regroupe toutes les étapes cinématographiques : la production, dont il était chargé, mais aussi la réalisation, l’exploitation et la distribution.
Les films qu’il produit n’hésitent pas à traiter de questions sociétales sensibles. « Il a été le premier à aborder le harcèlement sexuel à l’écran », se souvient Mounira Hammami, militante féministe. En 2008, dans une Tunisie encore sous régime autoritaire, La Chasse aux gazelles raconte les violences au travail d’une jeune femme employée dans une usine de textile et convoitée par son supérieur. Il s’agit d’un des dix feuilletons diffusés à la télévision durant le mois de ramadan, un rendez-vous dont les Tunisiens raffolent après la rupture du jeûne. Puis, en 2015 et 2016, mafia, drogue et trafic d’organes sont l’objet du feuilleton Naouret El Hawa (« le moulin à vent »). Un drame déconcertant, mais qui a marqué le public.
Grande taille, cheveux blancs bouclés toujours ébouriffés… Cet homme à la fois discret et charismatique avait une « prestance distinguée », se souvient Geneviève Babaï, une amie de longue date. « Il était remarquablement sensible et humain », dit Lamia Guiga, déléguée générale chargée de la direction artistique des JCC.
« S’il a réussi dans cette mission, c’est aussi grâce à son doigté et à sa conciliation, confie Yamina Mechri Bendana, chargée des courts-métrages du festival. Il savait déléguer, prenait sur lui et arrivait à résoudre les conflits dans la sérénité. » C’était aussi un négociateur qui a su trouver de nouveaux sponsors et partenaires pour les JCC. « Je me souviendrai toujours de sa finesse afin de nous convaincre d’augmenter le budget des JCC, précise le ministre Mohamed Zinelabidine. Il a su redorer le blason de ce festival. »