Avec la F-Pace, Jaguar s’engouffre dans la déferlante SUV
Avec la F-Pace, Jaguar s’engouffre dans la déferlante SUV
Par Jean-Michel Normand
Réputée pour ses berlines élancées, la firme anglaise cède pourtant aux sirènes du 4 x 4 urbain. Objectif : séduire une clientèle un peu plus jeune et stimuler des ventes à la traîne.
Chez Jaguar, la question de savoir si un faux 4 x 4 est soluble dans la grande tradition maison, si une voiture haute est vraiment compatible avec une marque réputée pour ses longues berlines et coupés élancés ne s’est pas posée très longtemps. La déferlante SUV a pris une telle ampleur qu’aucun constructeur ne saurait faire la fine bouche. Pas question, même pour Jaguar, de négliger un segment qui promet de progresser de 50 % au plan mondial d’ici à 2020 et s’impose comme une exceptionnelle « cash-machine ».
Jaguar espère, avec ce SUV, attirer des quinquagénaires habitués à d’autres marques. | Jaguar Land Rover LTD 2016
Commercialisée début mai, la F-Pace a donc été conçue sans aucun état d’âme. Elle peut offrir l’occasion de rompre avec le douloureux paradoxe dont souffre Jaguar : une image de marque exceptionnelle mais des ventes à la traîne (92 000 l’an passé, soit presque cinq fois moins que Land Rover, la marque-sœur). Ce SUV est chargé de faire progresser la firme anglaise sur tous les marchés, en particulier en Chine et aux Etats-Unis, et sans doute devenir le modèle le plus vendu de son catalogue.
Un gros chat de deux tonnes
De prime abord, la F-Pace ressemble plus à un gros chat qu’à un félin farouche. Sa face avant reprend les attributs de la marque (la calandre béante, les phares et les feux arrière effilés) mais l’ajout de trois prises d’air et la structure très verticale de la proue, dictée par les normes de sécurité et les contraintes aérodynamiques, alourdissent notablement la face avant. Pour compenser, la voiture creuse ses flancs, adopte des roues immenses (22 pouces) et des porte-à-faux plus généreux à l’arrière qu’à l’avant.
De quoi dynamiser sa silhouette mais sans doute pas combler les vœux du fondateur de la marque, Sir William Lyons (1901-1985), qui recommandait qu’une Jaguar « donne le sentiment d’être en mouvement, même à l’arrêt ». S’agissant d’un modèle portant un tel écusson, on eut aimé un capot plus long, des angles plus saillants et cette petite touche d’originalité british qui manque aussi à la XE, la dernière berline de la marque, bien mise mais obnubilée par ses concurrentes allemandes.
Revers de la médaille imposé par une architecture de 4 x 4, la F-Pace doit – malgré un recours massif à l’aluminium – faire avec un embonpoint qui amène certaines versions à friser les deux tonnes. Des contraintes assumées avec un certain brio sur la route où la Jaguar fait presque oublier son pacte conclu avec le SUV. Véloce, elle peut enchaîner les changements d’appui sans le moindre signe de mauvaise humeur.
L'architecture du 4X4 pèse lourd et la F-Pace n'échappe pas à cet embonpoint. | Jaguar Land Rover LTD 2016
Les motorisations disponibles (2-litres 180 ch et V6 3-litres 300 ch en diesel, V6 essence en version 340 ou 380 ch) sont à la hauteur et s’accordent avec une transmission réactive, sans imposer des niveaux de consommation déraisonnables dés lors que le conducteur n’a pas le pied trop lourd. Dommage qu’aucune version hybride ne soit encore en vue. De même, malgré la possibilité d’ajuster le réglage des suspensions, la voiture ne parvient pas à maîtriser certains mouvements de caisse. Gênant, même si cela ne nuit pas exagérément au niveau de confort.
Plus de 40 000 euros
A l’intérieur, l’habitacle installe les occupants bien au-dessus de la route – un panorama inhabituel, à bord d’une Jaguar – et se distingue par son sens de l’ergonomie ainsi qu’une sobre élégance qui plaira au plus grand nombre même si l’ambiance manque de chaleur. On attribuera une mention spéciale au coffre, très généreux (650 litres) tout en déplorant que la place centrale de la banquette arrière ait été sacrifiée.
Avec la F-Pace, Jaguar espère rajeunir de dix ans sa clientèle en séduisant de hardis quinquagénaires habitués à d’autres marques. Sont surtout ciblées les ventes de voitures de société, en escomptant qu’un cadre méritant se sentira flatté qu’on lui propose de tenir entre ses mains le volant d’un SUV frappé des armes d’un constructeur dont l’aura reste forte, au point d’intimider certains clients potentiels.
Un pari qui n’incite pas le constructeur à brader ses tarifs, qui débutent à 42 740 euros. Vecteur des nouvelles ambitions d’une marque qui doit élargir son territoire, la F-Pace peut s’enorgueillir d’introniser dignement Jaguar dans l’univers des SUV de luxe. Pour le reste, on ne voit pas très clairement ce qu’elle apporte de très nouveau dans une catégorie où BMW, Audi, Mercedes, Porsche, Lexus mais aussi Bentley et Maserati jouent des coudes.
L’effet crossover tire les prix vers le haut
Au vu de l’enquête annuelle de l’Argus sur la voiture moyenne des Français, on comprend que les constructeurs n’aient qu’une idée en tête : lancer des SUV. Le bilan 2015 dresse le portrait d’acheteurs de moins en moins regardants à la dépense, surtout lorsqu’il s’agit de rouler à bord d’un de ces véhicules. En 2015, le prix de la voiture moyenne (25 108 euros) a réalisé le plus fort rebond depuis dix ans, enregistrant une hausse de 1 100 euros en un an.
Ce renchérissement tient pour l’essentiel à l’impact des nouveaux modèles, en particulier des SUV qui représentent le quart du marché. Plutôt que d’acheter un petit modèle, le client tend désormais à opter pour un petit SUV (supplément : 4 500 euros) et la grande berline est boudée au profit d’un SUV de luxe (plus de 60 000 euros en moyenne). Résultat : le budget progresse dans toutes les catégories.
Derrière cet effet crossover, se cache celui de la croissance des ventes aux entreprises. Le véhicule de fonction ou acheté en location longue durée occupe une part grandissante et désormais majoritaire dans le commerce automobile dont il tire les prix vers le haut. En parallèle, la part des achats réalisés par les particuliers recule.