La lente dérive du régime gambien
La lente dérive du régime gambien
Par Christophe Châtelot
Le président Jammeh, au pouvoir depuis 1994, continue de verrouiller la société et d’étouffer toute voix dissidente par la répression et la torture.
Déjà isolé sur la scène internationale pour ses dérives autoritaires, le régime du président gambien Yahya Jammeh, 51 ans, s’attire de nouveau les foudres des organisations de défense des droits de l’homme et de l’ONU après la mort violente d’au moins un dirigeant de l’opposition.
Solo Sandeng, haut responsable du Parti démocratique uni (UDP) avait été arrêté, jeudi 14 avril, lors d’une manifestation pacifique organisée à la périphérie de Banjul, la capitale de la Gambie, pour demander davantage de transparence dans le processus électoral devant conduire à la présidentielle de décembre.
« Il a été torturé à mort par des hommes de l’Agence national d’information [NIA, les services secrets gambiens] », affirme Alioune Tine, directeur pour l’Afrique de l’Ouest de l’organisation de défense des droits de l’homme, Amnesty International. Nokoï Nje et Fatoumata Jawara, deux militantes de l’UDP interpellées le même jour que Solo Sandeng, seraient, selon les sources, soit dans un état critique, soit mortes des suites des violences assénées par ces mêmes nervis.
« Longue liste d’abus »
Samedi, une deuxième manifestation pacifique organisée pour protester contre la mort du leader de l’UDP a été, elle aussi, matée. « Au total, plusieurs dizaines de personnes ont été emprisonnées, dont Ousainou Darboe, chef de l’UDP et fervent défenseur des droits de l’homme », ajoute Alioune Tine.
Cette répression dans ce petit pays côtier d’Afrique de l’Ouest (1,8 million d’habitants), enserré dans le Sénégal, a poussé l’ONU à réagir. Dimanche, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon a « appelé les autorités à mener une enquête rapide, approfondie et indépendante » et demandé la libération, « immédiatement et sans condition », des personnes arrêtées.
Dans un communiqué conjoint, trois organisations de défense des droits de l’homme (Amnesty International, Human Rights Watch et Article 19) s’inquiètent de ces événements qui « ne sont que les derniers d’une longue liste d’abus commis à l’encontre de l’opposition en Gambie ». Ces ONG redoutent que cela s’aggrave d’ici à la présidentielle qui s’annonce comme une mascarade, à l’image des précédentes.
Cela fait plusieurs années déjà que le régime gambien dérive. « Depuis que [Yahya] Jammeh a pris le pouvoir [par un coup d’Etat en 1994], la répression brutale de toute forme de dissidence est devenue routinière. Les forces de sécurité et des groupes paramilitaires agissant dans l’ombre pratiquent exécutions sommaires, arrestations arbitraires, détentions illégales et disparitions forcées de personnes perçues par le gouvernement comme des menaces », dénoncent-elles.
« Le tournant remonte à 2006 et un coup d’Etat raté, analyse Fatou Jagne Senghor, directrice pour l’Afrique de l’Ouest de l’ONG Article 19. Depuis, dans la plus totale impunité, les purges se multiplient, y compris dans l’armée, les morts se comptent par centaines, les dissidents politiques ou les journalistes n’ont d’autre option que de quitter le pays. »
Différentes réformes font progressivement évoluer le système politique vers un régime de parti unique, celui du président, l’Alliance pour la réorientation et la construction patriotique (APRC). Autre signe de durcissement, le pouvoir a récemment adopté une loi permettant l’emprisonnement à vie des homosexuels.
L’aide des pays arabes
« Et rares sont les voix à l’étranger qui s’élèvent contre cette aggravation de la situation pour les Gambiens », regrettait récemment Aïsha Dabo, blogueuse et militante sénégalo-gambienne. De fait, lundi soir, ni l’Union africaine ni la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) n’avaient encore réagi aux violences de la semaine passée.
Le 16 avril 2016, manifestation à Banjul, la capitale gambienne, après l'annonce de la mort en prison d'un opposant au régime dictatorial du président Jammeh, au pouvoir depuis 1994. | AFP
Le Sénégal, qui assure la présidence tournante de la Cédéao, « agit extrêmement prudemment avec un voisin qui accueille 800 000 de ses ressortissants, les autres pays détournent les yeux, et notamment le Nigeria, qui pourrait jouer de son influence mais a d’autres chats à fouetter », confirmait récemment un diplomate occidental basé à Dakar.
Ces dernières semaines, toutefois, le Sénégal a durci le ton en soumettant la Gambie à un blocus économique douloureux pour ce pays enclavé, sauf sur sa façade atlantique. Ce n’est pas là une mesure de rétorsion contre les dérives dictatoriales du régime, mais une réaction au décuplement des taxes douanières payées par les camions transitant par la Gambie pour atteindre la Casamance sénégalaise.
La répression se déroule donc dans une forme de huis clos. Depuis quelque temps déjà, l’Union européenne a suspendu ses relations avec Banjul en raison de son triste bilan en matière de droits de l’homme. Ancienne colonie britannique, la Gambie est aussi sortie du Commonwealth en 2013. Sans doute est-ce pour tenter de rompre cet isolement que le président Yahya Jammeh a décrété, en décembre 2015, à la surprise de tous, y compris des Gambiens et de leurs organisations musulmanes, la transformation de son pays en République islamique. « Probablement pensait-il trouver auprès des pays arabes l’aide financière que les pays occidentaux lui refusent dorénavant. Cette initiative n’a porté aucun fruit », assure un diplomate occidental basé à Dakar.
Pays aux maigres ressources naturelles, la Gambie est en effet confrontée à une très sérieuse crise économique qui alimente d’ailleurs des flots de migrants clandestins. « Les familles au pouvoir, celle du président en premier lieu, s’approprient toutes les activités rentables : les boulangeries, l’importation de riz, le ciment, le sucre, le foncier… L’économie est à terre », confie un homme d’affaires gambien réfugié depuis des années à Dakar. « Mais le pays est solidement contrôlé, les gens ont peur, seule la dégradation de la situation sociale pourrait faire sortir les gens dans la rue et renverser ce régime policier », conclut-il.