Olusegun Obasanjo : « Les dirigeants africains sont responsables de l’insécurité sur le continent »
Olusegun Obasanjo : « Les dirigeants africains sont responsables de l’insécurité sur le continent »
Propos recueillis par Emeline Wuilbercq (contributrice Le Monde Afrique, en Ethiopie)
L’ex-président nigérain dénonce le manque de leadership africain dans le règlement des conflits sur le continent et la dépendance aux donateurs étrangers.
L'ancien président nigérian Olusegun Obasanjo à Nairobi en 2008. | Antony Njuguna/REUTERS
En Afrique, les conflits armés font désormais moins de morts que les accidents de la route. C’est le constat de l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui participait au Forum de Tana sur la sécurité en Afrique, qui s’est tenu dans la ville éthiopienne de Bahir Dar les 16 et 17 avril. La précision n’en est pas moins préoccupante, mais elle met l’accent sur l’amélioration de la situation sécuritaire. L’Afrique reste toutefois le continent où 80 % des opérations de maintien de la paix dans le monde sont déployées. Pendant deux jours, dirigeants, diplomates et chercheurs africains se sont livrés à un exercice d’introspection en questionnant la place de l’Afrique dans l’agenda sécuritaire mondial. L’ancien général et chef d’Etat du Nigeria Olusegun Obasanjo, président du Forum de Tana, fait le point pour Le Monde Afrique.
L’Union africaine (UA) répète souvent que seule l’Afrique peut trouver des solutions aux problèmes de l’Afrique. En matière de paix et de sécurité, le continent est encore largement dépendant du financement des puissances extérieures. Est-ce un frein à la réalisation de cette vision ?
Olusegun Obasanjo L’Afrique ne peut pas être prise au sérieux dans l’agenda sécuritaire mondial si elle ne finance pas sa propre sécurité. Les Etats membres de l’UA doivent commencer par payer leur contribution au budget de l’organisation et aux opérations de paix, car notre dépendance à l’égard des donateurs étrangers limite notre marge de manœuvre et notre autonomie politique. C’est une question de volonté politique et de leadership.
Cela ne signifie pas pour autant que la communauté internationale ne doit pas être impliquée dans la résolution des problèmes du continent. Elle peut être un partenaire. Mais les Africains doivent être en première ligne. Nous sommes les mieux à même de régler les conflits sur notre sol parce que nous savons mieux que quiconque de quoi il retourne. Le passé nous prouve que nous sommes capables de trouver des solutions. La décolonisation était une solution africaine. Nos dirigeants n’ont pas hésité à prendre les armes face à certaines puissances coloniales qui rechignaient à nous donner notre indépendance. De la même façon, lors de la guerre civile de Sierra Leone et du Liberia dans les années 1990, le contingent nigérian était au premier plan de la supervision des cessez-le-feu dans les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avec l’Ecomog. Et notre engagement nous a permis d’obtenir le soutien de partenaires extérieurs à l’Afrique.
Vous dites que l’ingérence occidentale a été la cause de conflits en Afrique en prenant l’exemple de la Libye. L’Afrique a-t-elle sa part de responsabilité dans le désordre libyen ?
Nous pouvons blâmer nos dirigeants qui n’ont pas suffisamment de force politique, diplomatique et militaire pour imposer des solutions africaines aux conflits qui minent notre continent. Nous, les Africains, souhaitions que la transition se déroule dans la paix et la stabilité en Libye. Nous avions une position commune claire qui a été rejetée par nos partenaires. La communauté internationale a décidé de déloger Mouammar Kadhafi. Barack Obama a lui-même estimé que sa pire erreur en tant que président américain était d’avoir échoué dans le suivi de l’intervention en Libye. La situation est désormais chaotique sur le terrain, sans compter les répercussions sur la sécurité au Mali, dans la région du Sahel et au Nigeria. Comment pouvons-nous parler de solutions africaines aux problèmes africains si nous sommes incapables d’agir ? Les dirigeants africains aussi sont responsables de l’insécurité sur le continent.
Lors du sommet de janvier, l’UA a finalement renoncé à envoyer une force de maintien de la paix au Burundi, compte tenu de la réticence de certains chefs d’Etat africains et du refus catégorique du président Nkurunziza. L’organisation panafricaine a-t-elle perdu de sa légitimité ?
Je ne dirais pas que l’UA a perdu de sa légitimité, mais de son intégrité. Elle a reculé après le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement en adoptant une position qui encourage virtuellement ce qui se passe au Burundi. Et cela fait de l’Afrique la risée du monde. L’UA doit avoir plus d’assurance et être à la hauteur de ses responsabilités pour sauver la vie d’Africains avant qu’il ne soit trop tard. Nos dirigeants doivent collectivement trouver la volonté politique pour apporter une solution rapide et durable à la situation au Burundi. Les caprices de présidents déraisonnés ne doivent pas primer sur les intérêts des Africains.
Le gouvernement de votre pays, le Nigeria, lutte contre les terroristes de Boko Haram. Quel regard portez-vous sur la politique sécuritaire du président Muhammadu Buhari, élu en mars 2015 ?
Les choses ont changé depuis son arrivée au pouvoir. Le président Buhari a remporté des succès militaires considérables contre Boko Haram. Il doit suivre cette voie et immédiatement investir dans le développement socio-économique des zones libérées du joug des terroristes. En Afrique, les inégalités, le chômage, le manque d’éducation et d’infrastructures sont autant de fléaux qui peuvent encourager les groupes terroristes. Les populations marginalisées ont recours à la violence pour exprimer leur mécontentement. C’est une menace pour la paix et la sécurité du continent.