En RDC, la grande marche de Moïse Katumbi trébuche sur la répression policière
En RDC, la grande marche de Moïse Katumbi trébuche sur la répression policière
Par Elise Barthet (envoyée spéciale, Lubumbashi)
Les forces de sécurité ont empêché le meeting de l’opposition dimanche à Lubumbashi à coup de gaz lacrymogènes.
Moïse Katumbi a l’habitude des bains de foule. Beaucoup moins de se faire gazer par la police d’une ville sur laquelle il a régné presque dix ans. Pour la première fois de sa vie, alors qu’il marchait dans Lubumbashi entouré d’une dizaine de milliers de partisans, l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga a tâté des grenades de lacrymogènes. Il en tousse encore des heures après la manifestation, attablé dans son salon aux côtés de son épouse. « Ce sont des vieilles mamans qui m’ont sauvé en me faisant passer derrière leur maison à travers les haies d’euphorbes, raconte-t-il. Elles m’ont donné de l’eau, je ne savais même pas que ça protégeait contre les fumées. »
L’opposant congolais, proche du G7, une formation de partis qui ont quitté la majorité présidentielle pour protester contre un éventuel troisième mandat du chef de l’Etat Joseph Kabila, devait tenir dimanche 24 avril un meeting aux abords du stade de la Kenya, un quartier populaire de Lubumbashi, capitale de l’ancienne province minière du Katanga à l’Est de la République démocratique du Congo.
Depuis le matin, des pelotons de policiers tout caparaçonnés quadrillaient le secteur, contrôlant les véhicules et les piétons à l’entrée de la commune. Objectif : empêcher tout rassemblement l’après-midi et surtout la jonction annoncée avec les partisans de Gabriel Kyungu, un poids lourd de l’opposition. « Il n’y aura personne, vous verrez », avait assuré au Monde, la veille, le chef local de l’ANR, les services de renseignement congolais. C’était un peu sous-estimer la popularité du « gouv’».
Car, si le meeting n’a pas eu lieu, la foule, elle, était bien au rendez-vous. Pour contourner le dispositif sécuritaire, Moïse Katumbi espérait se rendre à pied jusqu’au stade. Arrivé avec ses conseillers et ses gardes du corps dans des voitures banalisées empruntées à des proches, l’ancien homme d’affaires a vite été rejoint par des grappes d’habitants criant son nom. Des dizaines de jeunes d’abord, galvanisés par des supporters du Tout-Puissant Mazembe, le club de football du « chairman ». Puis, pas à pas, soulevant un nuage de poussière de plus en plus dense, des centaines, des milliers de Lushois. La marche pacifique, aux allures quasi bibliques, a duré en tout un peu plus d’une heure.
Le cortège accompagnant #Katumbi avant la charge de la police https://t.co/Ji0lUvCElO
— EliseBarthet (@Elise Barthet)
Plusieurs opposants arrêtés
« Comment se fait-il que l’opposition ait pu se réunir dans la capitale, à Goma, à Bukavu, et qu’on nous interdise de nous exprimer ici ? », s’interroge après coup Moïse Katumbi. « Le pouvoir a peur, tout simplement. La population ne serait pas venue si mon bilan était aussi mauvais qu’on le dit à Kinshasa. »
Critiqué pour son populisme et sa proximité avec les entreprises minières étrangères, l’homme fort de Lubumbashi jouit en effet encore de nombreux soutiens dans son ancienne province. Les routes qu’il a fait asphalter pendant son mandat et les écoles qu’il a contribué à réhabiliter du temps où il appartenait encore au PPRD, la formation du chef de l’Etat dont il fut un proche, lui valent toujours la reconnaissance des Katangais.
Mais si certains n’hésitent pas à le présenter comme « un élu de Dieu », d’autres se méfient de ce businessman converti à la politique après avoir amassé des millions de dollars grâce à son activité de sous-traitant du secteur minier. Victime d’une tentative d’empoisonnement au cyanure il y a quelques années, Moïse Katumbi a déjà essuyé plusieurs tentatives d’assassinat. Dimanche, il assure avoir vu des jeeps de militaires armés de lance-roquettes à proximité du cortège. Il affirme également que certains membres des forces de l’ordre lui ont tiré dessus à balle réelle. « Des gens m’ont montré deux douilles et des impacts sur un mur. » Une information que Le Monde n’a pas pu confirmer.
"La police aurait dû nous protéger, elle nous a gazé. C'est ça sa mission ?", déplore Patrice, supporter du Mazembe https://t.co/eNbnyyCrQu
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Dans la confusion qui a entouré la fin du rassemblement, des proches de l’ex-gouverneur ont toutefois bien été arrêtés. Des détentions qui s’ajoutent à celles de plusieurs opposants interpellés ces derniers jours dans la capitale du Haut-Katanga. Mardi 19 avril, l’ancien directeur de cabinet de Moïse Katumbi, le professeur Huit Malongo, a été enlevé en pleine nuit chez lui au motif qu’il détenait une arme non déclarée et des tracts appelant à l’insurrection. Dimanche, ce sont deux fils de Pierre Lumbi, l’une des figures du G7, qui ont été transférés vers les locaux de l’ANR. Salomon Kalonda, le plus proche conseiller de l’ex-gouverneur craint aujourd’hui d’être le prochain sur la liste.
Moïse Katumbi, lui, se dit décidé à poursuivre son combat pour le respect de la Constitution et du calendrier électoral. Un nouveau meeting devrait être organisé dans les semaines à venir à Lubumbashi. « Quoiqu’il arrive, le 20 décembre, Joseph Kabila ne sera plus président », dit-il en buvant un grand verre de lait. Pourquoi du lait ? « C’est la Monusco [Mission de l’ONU en RDC] qui me l’a conseillé. Ce serait bon pour la gorge quand on a respiré des gaz. »