Canada : comment la police a « créé » un couple de terroriste
Canada : comment la police a « créé » un couple de terroriste
Le Monde.fr avec AFP
La gendarmerie royale avait orchestré des accusations de terrorisme contre deux Canadiens en 2015. La justice a ordonné leur remise en liberté immédiate.
La Cour suprême de Colombie-Britannique a estimé vendredi 29 juillet que la police avait manipulé et piégé un couple de Canadiens, déclarés coupables en 2015 d’activités terroristes, et a ordonné leur remise en liberté immédiate.
Dans un jugement inédit, la haute juridiction de la province de l’ouest canadien a vivement blâmé la police fédérale qui a instrumentalisé deux marginaux pour les présenter comme des djihadistes.
John Nuttall, 41 ans, et son épouse Amanda Korody, 33 ans, avaient été accusés en 2015 d’avoir préparé des engins explosifs avec l’objectif de faire le maximum de victimes lors des célébrations de la fête nationale canadienne en 2013.
L’opération policière a monté vingt-huit scénarios
En 2013, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), alertée par les services de renseignement, avait placé sous surveillance M. Nuttall, soupçonné de vouloir acheter du nitrate de potassium. Ce dernier, un marginal et ancien toxicomane, a ensuite été contacté par des agents infiltrés.
Pendant cinq mois, l’opération policière a « monté vingt-huit scénarios allant d’un simple appel téléphonique à des rencontres complexes sur plusieurs jours », a rappelé la Cour suprême. Cette opération s’est terminée au matin du 1er juillet 2013 avec la pose de trois autocuiseurs avec des détonateurs désactivés devant le Parlement provincial, et l’arrestation du couple.
Le monde a assez de terroristes, pas besoin d’en créer d’avantage
« La police n’a pas le droit d’ouvrir une enquête (…) à moins d’avoir une suspicion raisonnable », a rappelé la Cour suprême. Or, « la police avait très peu de preuves au début de l’opération d’infiltration pour soutenir tout soupçon raisonnable que M. Nuttall avait déjà été engagé dans des activités criminelles ».
En donnant raison au couple, la juge Catherine Bruce a qualifié de « circonstances exceptionnelles » l’abandon de charges en raison d’un abus de procédure « au motif que l’écart de conduite de l’Etat porte atteinte à l’intégrité de la justice ». « Le monde a assez de terroristes, nul besoin de la police pour créer davantage de marginaux qui n’ont ni la capacité, ni la motivation suffisante d’agir par eux-mêmes », a conclu la juge.
« Dans la police, il y a des brebis galeuses »
A la sortie de l’audience de la Cour suprême, la mère de John Nuttall a estimé n’avoir aucune raison de « haïr la police ». « Dans la police, il y a des brebis galeuses comme celles auxquelles mon fils a eu affaire et j’espère que ces individus auront ce qu’ils méritent », a-t-elle ajouté.
Dans un communiqué, le Service des poursuites pénales du Canada, représentant du parquet fédéral, a indiqué avoir immédiatement fait appel de cet arrêt. La GRC a pris acte de cette décision en rappelant sa mission de « détecter, perturber et prévenir les menaces contre la sécurité nationale ».