Durant l’été, le Louvre s’installe dans le 93
Durant l’été, le Louvre s’installe dans le 93
Par Camille Tidjditi
En août, le musée vient à la rencontre des enfants des centres d’animation de Seine-Saint-Denis, avec un dispositif ludique.
En ce jeudi 18 août après-midi, dans les locaux du centre socio-culturel Clara Zetkin de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), une vingtaine d’enfants, de 6 à 12 ans, s’affaire autour de grandes et mystérieuses caisses de bois blanc. En lettres capitales rouges, la mention « FRAGILE ». Perchée sur ses hauts talons, Justine Goyon, animatrice devenue « directrice » du Louvre pour l’occasion, brandit une clef : « On va ouvrir les boîtes, mais d’abord il faut mettre des gants blancs. Qui veut faire le conservateur ? ». Une forêt de bras tendus se dresse. Enfin, on soulève les couvercles et les caisses dévoilent leur précieux contenu : un Arcimboldo, des statuettes égyptiennes, et même la célèbre Joconde… Des reproductions plus vraies que nature que les enfants manipulent avec soin, recréant, sur des panneaux amovibles, toute la scénographie d’une exposition miniature.
Familiariser les enfants de Seine-Saint-Denis à l’univers du musée, telle est l’ambition du dispositif « Le Louvre à jouer » qui se tient pendant tout l’été sur les communes de Neuilly-sur-Marne, Villetaneuse et Montreuil. Le projet s’inscrit dans le cadre de l’opération des Portes du temps, mise en place par le ministère de la culture pour favoriser l’égalité dans l’accès au patrimoine culturel. Lancée en 2005, elle accueille cette année 35 000 enfants et adolescents pendant les vacances scolaire, sur 130 sites patrimoniaux partout en France. Sont proposées des activités ludiques et culturelles, en lien avec le patrimoine.
Le Musée du Louvre participe pour la troisième année. La nouveauté de cette édition ? La grande place laissée au jeu dans la rencontre avec le patrimoine. Françoise Feger, chef de projet, explique : « Souvent les dispositifs ludiques ne sont qu’une ruse pour faire passer un contenu pédagogique auprès des enfants. Ici on est hors temps scolaire, on fait du libre jeu le cœur même de l’activité ». Et d’ajouter : « On s’aperçoit que les enfants savent déjà plein de choses, on part de là pour faire vivre la séance. » Si le bénéfice pédagogique est réel, il s’agit surtout de « générer une expérience positive du musée ». Pour ce faire, le Louvre s’est appuyé sur le réseau de ludothéquaires implanté en Seine-Saint-Denis : « On partait de rien, il a fallu mettre en place un réel échange entre des univers professionnels différents. »
Elise Gouhot, chargée de mission au ministère de la culture et de la communication, insiste sur la coconstruction du projet avec les acteurs territoriaux : médiateurs culturels et professionnels de l’animation sont appelés à travailler ensemble, en coopération avec les municipalités. Le Musée du Louvre organise ainsi une formation de deux jours pour les animateurs participant au projet, afin de les initier à la médiation culturelle. Là encore, l’objectif est de créer des connexions entre les réseaux patrimoniaux et les centres culturels œuvrant au niveau local, afin de favoriser une acculturation globale au musée. Cathy Losson, chef du service démocratisation culturelle et action territoriale du Louvre, confirme : « Il faut arrêter de parler de “désert culturel”. Le département de Seine-Saint-Denis propose déjà une offre très développée. Le Musée du Louvre se greffe là-dessus pour instaurer une continuité entre l’offre culturelle que ces jeunes peuvent connaître et les œuvres patrimoniales. »
Lors d’une séance « Le Louvre à jouer » à la ludothèque de Neuilly-sur-Marne, dans le cadre de l’opération Portes du temps 2016, le 3 août 2016. | FLORENCE BROCHOIRE
« Rencontrer les œuvres originales »
Le pari est ambitieux : connecter plaisir et musée, pour faire tomber les barrières symboliques. Et donner envie de revenir. Cathy Losson en a fait l’expérience : « Quand on demande aux enfants ce qu’est un musée, ils commencent par énumérer une liste d’interdits : ne pas toucher, ne pas courir, parler doucement. En les invitant à jouer au musée, ils peuvent s’approprier cet espace. » La seconde étape, c’est une visite du Louvre, le vrai. « On sort du musée pour mieux préparer la venue des enfants. Le but du dispositif est quand même de leur faire rencontrer les œuvres originales. » Et à la fin de chaque séance, les enfants reçoivent un « pass ambassadeur », avec lequel ils sont invités à venir au musée avec deux adultes de leur choix. « On rappelle aussi des principes simples, comme la gratuité des musées, afin d’encourager à un retour autonome. »
Le dispositif permet aussi aux enfants de s’initier aux codes de la muséologie, en associant cadres et couleurs, en imaginant un parcours. Françoise Feger l’a observé : « Chaque groupe crée un musée différent. Parfois, c’est très géométrique, très cartésien, d’autres fois, plus fouilli, plus étalé. Mais c’est toujours intéressant, à chaque séance, ils proposent quelque chose. »
Un musée pas comme les autres
Du côté des enfants en tout cas, l’animation est un succès. Fayçal, 6 ans, revient pour la deuxième fois dans ce musée pas comme les autres. Très professionnel, muni d’un cadre doré, ganté de blanc, il s’approche d’une reproduction du Pierrot (ou Gilles), de Watteau : « Ça ne va pas, il est trop grand ! », affirme-t-il. Et de repartir en trottinant vers la caisse, pour en trouver un plus approprié. Plus loin, deux « grandes » déambulent, jouant le rôle des touristes. Jean-Philippe, animateur, sourit : « Au début, elles râlaient, elles ne voulaient pas venir, mais maintenant elles s’amusent. »
Un bon souvenir ? « A Neuilly-sur-Marne, on a présenté le projet à un groupe d’enfants peu réceptifs, qui étaient très loin de l’univers du musée. Vers la fin de la séance, ils se sont installés au milieu de l’exposition qu’ils venaient de construire et ont improvisé un concert de percussions avec les intruments du centre. C’était devenu leur espace. » Pari gagné.
Lors d’une séance « Le Louvre à jouer » à la ludothèque de Neuilly-sur-Marne, dans le cadre de l’opération Portes du temps 2016, le 3 août 2016. | FLORENCE BROCHOIRE