De l’art pour enseigner l’entrepreunariat aux étudiants
De l’art pour enseigner l’entrepreunariat aux étudiants
Par Claire Ané
Les étudiants de l’option entrepreunariat de l’ESCP à Paris organisent mercredi un festival pour tester leurs idées d’entreprises, mûries à l’issue d’un séminaire de création artistique.
Vernissage à l’issue du séminaire de création artisitique « Improbable 2016 » de la Chaire Entrepreneuriat de l’ESCP. | Chaire Entrepreneuriat de l'ESCP
« Les cours en amphi, j’en peux plus. L’option entrepreunariat, c’est une pédagogie différente. On doit se débrouiller. C’est souvent la m…, mais c’est cool » , salue Vincent Galard, étudiant en 3e année à l’ESCP Europe. Après avoir créé une œuvre d’art à la rentrée, lui et ses camarades organisent, mercredi 19 octobre, l’Entrepreneurship Festival, avec plusieurs centaines de professionnels et de visiteurs attendus sur le campus parisien de l’école de commerce.
Le programme s’annonce éclectique, entre « la première conférence sur la sexualité des managers de demain », animée par le groupe de Vincent Galard, des ateliers pour « renouer avec la nature », un Fashion Lab pour convertir l’industrie de la mode aux nouvelles technologies, ou encore des démonstrations d’usages concrets de la blockchain…
Cet événement est au cœur de la « pédagogie par l’impact, impact sur l’extérieur et sur les étudiants eux-mêmes » développée par Sylvain Bureau, responsable de la chaire Entrepreunariat de l’ESCP. Il s’agit de rompre avec l’environnement classique des grandes écoles, « un univers clos et où les étudiants reçoivent beaucoup », pour les mettre « en interaction avec le monde réel, ce qui va créer de l’engagement, générer des retours qui leur permettront d’apprendre ». Plutôt qu’un accompagnement dans la maturation de projet d’entreprise individuel, l’option E met sa cinquantaine d’étudiants « en situation de chercher des solutions aux problèmes de société, ce qui correspond aussi à leur quête de sens », explique-t-il.
Vincent Galard et Hanting Zhou, du groupe "Amour et sexualité", étudiants de la chaire Entreprenariat à l'ESCP Europe, à Paris | Claire Ané
Sa recette est simple : sélectionner une cinquantaine d’étudiants issus des différents campus de l’ESCP, mais aussi d’autres écoles partenaires (d’ingénieurs, de design, d’informatique…). Constituer les équipes sur dix thèmes en lien avec les questions de citoyenneté. Débuter l’année par trois jours de séminaire dans un atelier d’artistes du quartier de Belleville, pour créer une œuvre d’art, qui « pose une question sur la société ». Puis leur donner carte blanche pour développer, lors de l’Entrepreneurship festival, un événement qui propose une première réponse, en nouant des partenariats et en se confrontant au public. Avant de construire une véritable solution d’entreprise.
Vincent et ses coéquipières du groupe « Amour et sexualité » se sont facilement prêtés à l’exercice. Au soir du vernissage, ils se sont mis en vente sur « Nikea », afin de « dénoncer la pression sociale de l’encouplement » imposée aux célibataires, ainsi que le marché qui s’est développé autour. Le nom et le code visuel ont été choisis en référence au magasin suédois où les jeunes couples se rendent avant d’emménager ensemble.
Projet « Nikea » de Vincent Galard, Mathilde Le Colonier et Hanting Zhou | Vincent Galard, Mathilde Le Colonier et Hanting Zhou
Les étudiants qui planchaient sur le thème « Alimentation durable » ont eux aussi été inspirés : ils ont exposé un « biomisateur », avec une vidéo, très réussie, montrant comment cet aérosol permet de rendre chacun de ses faits et gestes « écologiquement acceptable » . « On est partis du greenwashing que pratiquent les entreprises pour faire adhérer à leurs produits. De ces supermarchés qui vendent des bananes bio plus emballées que le non-bio, ou avec la même profusion et le même risque de gaspillage que les enseignes classiques. Le bio donne bonne conscience, mais il ne suffit pas », expose Alice Abbat.
Lors du festival, le groupe veut tester auprès des étudiants son idée que « renouer avec la nature permettra de faire évoluer en profondeur les comportements, en mangeant plus local et moins de viande », poursuit la jeune femme. Sont prévus un apéro et un marché pour découvrir et acheter des produits locaux, ainsi que divers ateliers pour fabriquer des produits ménagers maison, une jardinière à ramener chez soi, et un vrai potager en palettes de chantier, qui restera dans la cour de l’ESCP. « L’événement va nous permettre de voir si le concept prend, renchérit Mehdi El Motre, pour peut-être créer ensuite un lieu, viable économiquement, proposant ateliers et vente de produits locaux. »
Brune Cangardel, Medhi El Motre, Caroline Kotbe et Alice Abbat, membres du groupe « Alimentation durable » | Claire Ané
Le groupe Nikea a souhaité enrichir sa réflexion sur les figures imposées de l’amour et de la sexualité en soumettant un questionnaire à quelque 800 étudiants d’écoles de commerce. « Le spécialiste de ces questions à l’IFOP viendra commenter les résultats lors de la conférence. Nous aurons aussi le numéro 2 de Marc Dorcel, qui réfléchit à l’avenir du film porno, et une sexothérapeute », se félicite Vincent Gallard. « Dans mon pays, la Chine, il n’existe aucune éducation sexuelle. Ce sont les garçons, qui ont appris avec les films pornos, qui montrent aux filles », explique sa camarade, Hanting Zhou. D’où leurs questions sur la façon dont l’éducation sexuelle et le cinéma X pourraient contribuer à rendre la sexualité plus libre et moins soucieuse de la performance.
Tous les projets développés au sein de l’option ne deviendront pas des entreprises, même si cela est arrivé, souligne Sylvain Bureau. Il cite notamment Mamie foodie, service traiteur assuré par des personnes âgées des quatre coins du monde, lors duquel la rencontre importe autant que la nourriture. Les étudiants peuvent aussi venir partager leurs propres idées d’entreprise. « Mais notre cursus les aide à prendre conscience qu’entreprendre a forcément un impact sur la société, explique-t-il. Et qu’ils ne pourront pas faire grandir leur projet d’entreprise s’ils n’ont pas une vision plus globale, sociale et sociétale. »
Camilla Voce, Andréa Schiavoni et Gauthier Langlois, membres de l'équipe du "Fashion lab" | Claire Ané
Si Alice comme Vincent s’épanouissent dans cette formation « sans cours ou presque », du « learning by doing » , tous n’ont pas la même facilité. Le groupe « Fab lab et fabrication locale » a peiné à créer son œuvre d’art, reprenant tout de zéro la dernière nuit. « Dans nos études, on nous a appris à tout faire pour atteindre le but fixé. Là, on nous demande d’avancer sans connaître le but », analyse Andrea Schiavoni, l’un des trois étudiants italiens de groupe, qui a débuté ses études à l’ESCP à Londres. « On s’écoutait trop les uns les autres, on n’avançait pas », ajoute sa compatriote Camilla Voce. Consciente de l’inconfort généré, « qui fait partie de la démarche », l’équipe pédagogique a mis en place depuis deux ans des cours de soft skills, qui permettent de mettre en mots les difficultés rencontrées, notamment dans le travail d’équipe.
Bousculée, l’équipe a finalement repris, en vue du festival, son idée initiale de Fashion Lab, qui vise à faire connaître aux grandes maisons comme aux artisans de la mode comment imprimantes 3D et autres nouvelles technologies peuvent les aider à créer autrement et moins cher. Sans remettre en cause la méthode d’enseignement. « Se faire refuser un projet, cela fait avancer », philosophe Camilla, tandis qu’Andrea confie, radieux : « Contacter les grandes entreprises à l’occasion du festival, cela permet de se créer une crédibilité. On a spammé la terre entière ! »