Un nourrisson est mort après une prise de vitamine D
Un nourrisson est mort après une prise de vitamine D
Par Paul Benkimoun
Depuis au moins dix ans, des malaises parfois graves sont signalés après l’administration d’Uvestérol.
Uvestérol D.
Un nourrisson âgé de 10 jours est mort le 22 décembre à l’hôpital Cochin à Paris, immédiatement après l’administration d’une dose d’Uvestérol D (vitamine D), a révélé Le Figaro sur son site, lundi 2 janvier. Le décès n’avait jusqu’ici pas été rendu public.
Selon Le Figaro, le directeur général de la santé, Benoît Vallet, avait été informé du décès le jour même tout comme l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui l’aurait appris « de manière informelle », mais n’aurait demandé de plus amples information à l’hôpital Cochin que le 27 décembre.
Depuis onze ans, des responsables de la pharmacovigilance ont régulièrement questionné la pertinence de laisser sur le marché une présentation pour laquelle une dizaine de cas de malaise vagal ou de fausse route alimentaire sont signalés chaque année – sans compter, par définition, tous ceux qui ne sont pas notifiés. Il ont réclamé à plusieurs reprises une suspension de l’Uvestérol puisque des alternatives existent.
Donner de la vitamine D pour contrebalancer la fréquente carence en cette substance indispensable à la croissance et à la consolidation des os est une pratique de routine. Plusieurs formes de vitamine D sont disponibles mais l’une d’elle, l’Uvestérol D (laboratoires Crinex), se présente sous forme d’une solution huileuse qui nécessite des précautions d’administration.
Fausse route alimentaire ou malaise vagal
En octobre 2006, deux cas graves de malaise survenus chez des nourrissons ont été notifiés à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, ancien nom de l’ANSM). Celle-ci avait conclu à un risque très rare mais potentiellement grave de malaise vagal – d’origine neurologique, pouvant entraîner un ralentissement du rythme cardiaque, une baisse de tension et une perte de connaissance –, alors que les nouveau-nés ou nourrissons ne souffrent d’aucune pathologie. L’Afssaps avait rappelé aux professionnels de santé de suivre scrupuleusement les protocoles d’administration et une nouvelle pipette évitant le risque d’une administration trop rapide du produit avait été mise en place par le fabricant.
Deux mécanismes peuvent expliquer les malaises et les décès de nourrissons en bonne santé, selon un responsable d’un centre régional de pharmacovigilance que Le Monde a interrogé : une fausse route alimentaire ou un malaise vagal. Dans le premier cas, ce qui doit aller dans l’œsophage passe dans la trachée vers les voies respiratoires. Dans le second, l’introduction d’une pipette dans la bouche d’un nouveau-né ou d’un nourrisson risque d’être un geste agressif susceptible d’entraîner par réflexe le malaise vagal.
Lors de sa réunion du 23 novembre 2010, la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) avait demandé la contre-indication de l’Uvestérol D au cours du premier mois de vie. Le laboratoire Crinex a contesté cette mesure et a proposé en lieu et place de diluer les produits dans de l’eau ou du lait au cours de cette période, ce qui a conduit la CNPV à surseoir à statuer dans la mise en œuvre de la mesure qu’elle proposait.
Dans son numéro de mai 2011, sous le titre « Alertez les bébés ! », la revue Prescrire écrivait : « Fréquence, gravité, problème : il y a de quoi motiver un traitement énergique du dossier. Mais fin 2010 encore, l’Afssaps n’a pris que des demi-mesures qui compliquent la vie des parents et des soignants sans protéger vraiment les nourrissons, le médicament restant sur le marché », avant d’inviter l’agence à « tirer les leçons du Mediator. »
Il faut « une décision forte » de l’ANSM
Réunie le 29 mars 2011, la CNPV constatait que 23 nouveaux cas de malaise étaient recensés depuis le plan de communication d’octobre 2006. Faute d’une proposition concrète du fabricant, elle se prononçait pour la contre-indication au cours du premier mois de vie. Le dossier est alors transmis à la Commission d’autorisation de mise sur le marché (CAMM). Réunie le 26 mai 2011, celle-ci « demande au laboratoire de fournir le plan de gestion et de minimisation des risques déjà demandé, incluant une révision des modalités d’information telles que des mises en garde spécifiques apposées de façon visible sur l’étiquetage du médicament, une notice comprenant des modalités d’information de façon claire et synthétique, et une communication sur le bon usage du médicament ». Toutefois, la CAMM n’a pas statué sur la proposition de la CNPV de contre-indication de l’Uvestérol D au cours du premier mois de vie.
En novembre 2014, de nouvelles formules et présentations d’Uvestérol sont mises à disposition par les laboratoires Crinex, en réponse aux demandes de l’ANSM, notamment en diminuant le volume à administrer en augmentant la concentration de la solution et en modifiant en conséquence les pipettes graduées.
La CNPV a de nouveau examiné le dossier lors de sa réunion du 5 juillet 2016, mais le compte rendu de cette réunion n’a toujours pas été rendu public. Après avoir appris le décès d’un nourrisson à Cochin, les responsables de plusieurs centres régionaux de pharmacovigilance ont demandé la suspension du marché de l’Uvestérol. « Il existe des alternatives. Vu la gravité de la situation, une décision forte de l’ANSM serait la bienvenue », déclare au Monde le professeur Jean-Louis Montastruc, chef du service de pharmacologie médicale et clinique au CHU de Toulouse.