Mondiaux d’athlétisme : Londres d’un doute
Mondiaux d’athlétisme : Londres d’un doute
Par Yann Bouchez, Anthony Hernandez
Les championnats du monde, qui se tiennent du 4 au 13 août, seront les derniers du Jamaïcain Usain Bolt. Et l’occasion d’un retour au stade des JO 2012.
Usain Bolt s’affiche en grand sur les murs du Parlement britannique, le 27 juillet 2012. | LUIS ACOSTA / AFP
« Oh shit, déjà cinq ans ! » Que les lecteurs de ce blog sur les Mondiaux d’athlétisme (du 4 au 13 août) nous pardonnent la vulgarité de l’expression. Mais, damned, le temps passe vite, c’est dingue. Après Londres 2012, voilà déjà venu le temps de Londres 2017. Et regarder dans le rétroviseur donne quelques sueurs. Remember.
C’était il y a un quinquennat. La France était dirigée par un président « normal », un jeunot inconnu répondant au nom d’Emmanuel Macron découvrait les coulisses de l’Elysée, et le Royaume-Uni faisait encore partie de l’Union européenne. Sur les pistes, un homme courait tout seul devant, les autres loin derrière. Le 5 août 2012, au terme d’une ligne droite avalée de ses longues foulées, l’« anormal » Usain Bolt éparpillait la concurrence, réduite au statut de simple faire-valoir. Un 100 m bouclé en 9 s 63. Amazing.
Entamé en 2008, année de son premier triplé olympique à Pékin – désormais amputé d’une médaille d’or, celle du relais 4 × 100 m pour cause de contrôle positif de Nesta Carter, huit ans plus tard –, le règne du Jamaïcain ne souffrait alors aucun partage. A Londres, le 9 août 2012, Bolt raflait le 200 m dans un temps dément (19 s 32) devant deux compatriotes. Conclusion, face aux micros : « Je suis une légende vivante, faites ma gloire. » Logiquement, le 11 août, le relais jamaïcain remportait l’or du 4 × 100 m.
Dernier chapitre
Cinq ans après, Usain Bolt est toujours là. Le « dégagisme », très peu pour lui, ou alors seulement s’il en est le décisionnaire. Justement, d’ailleurs : à bientôt 31 ans – il soufflera ses bougies le 21 août –, le sprinteur a décidé de faire l’impasse sur le 200 m, pour sa dernière grande compétition internationale. Les amateurs vont devoir s’habituer à faire sans lui.
La légende autoproclamée pourra méditer cette citation attribuée à Joe Strummer, le chanteur des Clash et de leur fameux tube London Calling : « Je ne suis pas célèbre, je suis une légende. Célèbre, c’est lorsque tout le monde connaît ce que tu fais et que tu es riche. Légende, c’est quand tout le monde connaît ce que tu as fait mais que tu es fini ! » S’il reste tout de même à écrire le dernier chapitre pour le Jamaïcain, l’épilogue approche.
London calling-The clash
L’athlétisme sans Bolt ? « Un trou immense, pas insurmontable », a estimé Sebastian Coe, le patron de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), au terme des Jeux de Rio, en 2016. Mais c’est tout de même un peu comme si la boxe perdait Mohammed Ali, le basket-ball Michael Jordan ou le club de football de Troyes Benjamin Nivet.
Au jeu des comparaisons, peut-être faudrait-il laisser la parole aux Inconnus et à leur chanson Un chagrin d’amour : « C’est comme la mer sans les vagues, c’est comme les vagues sans l’écume, c’est comme l’écume sans le sel, c’est comme le sel sans le poivre. » Sans le Jamaïcain, l’ambiance de certains stades risque de paraître fade, alors que sa seule présence a souvent aimanté la foule en tribunes, ces dernières années.
Les Inconnus - Un chagrin d'amour
Les succès à répétition de Bolt pourraient laisser penser que peu de choses ont changé dans le monde de l’athlétisme, en cinq ans. Rien n’est plus faux. En 2012, au 110 m haies, Orlando Ortega défendait encore les couleurs de Cuba – il portera cette fois le maillot de l’Espagne – et Aries Merritt courait encore avec ses deux reins – il tente désormais de faire aussi bien avec sa greffe. A 24 ans, l’Américain Ashton Eaton émerveillait au-delà du cercle réduit des amoureux du décathlon et on plaignait ses rivaux, persuadés qu’ils seraient privés d’or pour une décennie encore – il a depuis pris une retraite anticipée.
Vaste escroquerie
En 2012, last but not least, les coureuses et les marcheurs russes affolaient le compteur de médailles. Le tout sous l’œil bienveillant de Lamine Diack. Depuis, le monde a découvert que bon nombre des athlètes de Moscou carburaient à l’illicite. Et que l’ancien patron de l’IAAF avait décidé de fermer les yeux, en échange d’argent. Les Jeux de Londres, censés être « les plus propres de l’histoire », se sont révélés une vaste escroquerie. Shocking.
Cette année, une vingtaine de Russes qui ont obtenu le blanc-seing de l’IAAF concourront comme athlètes neutres. La lanceuse d’alerte et coureuse de 800 m Ioulia Stepanova, qui n’a pas réalisé les minima, n’en fera pas partie.
Comment vibrer sans douter ? La sagesse qu’offre parfois le recul historique devrait inciter à la prudence. Même pour Bolt ? On peut certes rappeler que le Jamaïcain n’a pas été impliqué dans une affaire de dopage depuis le début de sa carrière, au contraire de ses compatriotes Yohan Blake et Asafa Powell, ou du vétéran Justin Gatlin, toujours fringant. Cela doit être souligné. Mais, sans jeter de suspicion gratuite, il ne faut pas oublier que la Jamaïque ne figure pas parmi les meilleurs élèves de la lutte contre la triche. Il y a cinq ans, une responsable de l’agence antidopage jamaïcaine avait ainsi regretté la quasi-absence de contrôle hors compétition sur l’île, avant les Jeux de 2012.
« Where is it ? » Renaud Lavillenie, toujours à la recherche d’un premier titre de champion du monde. | DON EMMERT / AFP
Une chose est acquise : l’homme aux onze titres mondiaux – l’hendécuple champion du monde, si vous préférez – aimantera à nouveau l’attention. Mais il y aura bien d’autres histoires à raconter, des exploits de la Sud-Africaine Caster Semenya – qui vise un doublé 800 m-1 500 m – à la quête du premier or mondial de Lavillenie, en passant par le mystérieux Mo Farah… « London recalling » vous narrera les faits saillants et les coulisses de cette course aux médailles qui durera jusqu’au 13 août.
A une époque où les podiums ont une espérance de vie limitée, au gré des retests et des progrès de la science, c’est toutefois à une échéance bien plus lointaine qu’il conviendra de juger les exploits de ces dix jours à venir. Les échantillons peuvent désormais être réanalysés une décennie plus tard. Et certains risquent de se dire : « Oh shit, dix ans ! »