S’affranchir du RSI, certains Français prennent le risque
S’affranchir du RSI, certains Français prennent le risque
Par Charline Hurel
Alors que le gouvernement vient d’annoncer la suppression progressive du RSI, certains ont choisi de s’affranchir du système de solidarité nationale en souscrivant à une assurance privée européenne
Un système « défectueux » et « ruineux ». Une pointe de colère accompagne la voix de cet auto-entrepreneur de 45 ans. Comme certains Français, Jérôme a choisi de se tourner vers une assurance privée européenne plutôt que de cotiser au régime social des indépendants (RSI), instauré en 2006. « J’ai créé seul cette entreprise et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux, confie-t-il en requérant l’anonymat. Alors quand je me suis aperçu que le RSI allait couler ma boîte, je n’ai pas hésité. » Alors que le gouvernement vient d’annoncer la suppression progressive du RSI, certains ont choisi de s’affranchir du système de solidarité nationale en souscrivant à une assurance privée européenne.
C’est en 2010 qu’il se lance dans la vente en ligne de pièces détachées pour voiture. « Le RSI prélève une somme avant même qu’on ait pu gagner un seul centime », raconte-t-il. Difficile de joindre les deux bouts pour ce chef d’entreprise qui croule sous le poids des cotisations. Mais c’est après s’être « rendu compte, qu’après trois ans d’activité », il n’avait « aucun trimestre de retraite » et une somme importante à régler en rappel de cotisation, qu’il décide de sauter le pas.
Exit le système français, c’est vers une assurance privée européenne qu’il se tourne. Une décision motivée par le Mouvement pour la liberté de la protection sociale (MLPS), dont le fondateur est Claude Reichman, fervent militant pour la suppression du monopole de la sécurité sociale. « En France, chacun est libre de vouloir s’assurer où il veut pour l’habitation. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent pour la santé ou la retraite », se défend Jérôme. C’est du côté d’Amariz, société britannique et principal fournisseur d’assurance privée aux auto-entrepreneurs français, qu’il trouve son bonheur. Pour lui, le constat est sans appel : « 12 000 euros d’économie par an et un meilleur remboursement santé, ce n’est pas négligeable. »
Une réalité acquiessée par Béatrice. Elle aussi s’est tournée vers le géant de l’assurance privée Amariz. Mais pour cette femme, qui a créé son entreprise en 1994 et ne souhaite pas non plus donner son nom de famille, c’est la loi sur le financement de la sécurité sociale de 2013 qui va mettre le feu aux poudres. En plus de cotiser sur son revenu d’activité, elle doit désormais payer ses cotisations sur les dividendes perçus par sa société. « On se retrouve avec des sommes ubuesques alors qu’on n’a pas la trésorerie pour les régler. » Malgré ses deux convocations devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS), Béatrice ne regrette pas son choix. « Je fais près de 25 000 euros d’économie par an grâce à cette assurance privée, j’ai pu sauver mon entreprise. »
Désaffiliation impossible
Un fait que conteste Jean-Philippe Naudon, directeur de missions au RSI. Selon lui, il est clair que ces auto-entrepreneurs français se trompent sur l’économie réelle qu’ils font en arrêtant de cotiser : « C’est une erreur de les inciter à se tourner vers une assurance privée européenne. Payer ces cotisations permet d’avoir une retraite, reflet de la carrière professionnelle. »
La suppression progressive du RSI a beau recevoir un accueil favorable, Jérôme ne changera pas d’avis. « J’attends de voir à quelle sauce on va être mangé », dit-il. Quoi qu’il en soit, pour lui, hors de question de revenir en arrière. « Je n’abandonnerai pas mon assurance privée même si la nouvelle formule est meilleure », affirme-t-il, conscient du caractère illégal de cette pratique.
Même constat pour Claude Reichman, pour qui Jérôme n’est pas un cas isolé. Le fondateur du MLPS livre une bataille juridique depuis plus de vingt ans pour soulager les chefs d’entreprise des cotisations. En vain. « Le RSI est une catastrophe industrielle responsable de nombreuses faillites. En les incitant à prendre une assurance privée européenne, on en a sauvé des milliers », assure-t-il. La raison avancée par les auto-entrepreneurs est, elle, toujours la même : des cotisations trop élevées dont les premières victimes sont les petites et moyennes entreprises. « Le RSI prend la moitié de ce qu’on gagne. Il n’y a pas un pays au monde où, pour être protégé, on vous prélève autant », fustige-t-il.
C’est devant le tribunal des affaires de sécurité sociale que le mouvement tente de se faire entendre en épaulant ces « libérés de la sécu ». L’argumentation ne change pas depuis des années. Claude Reichman se fonde sur des directives européennes de 1992 qui suppriment le monopole de la sécurité sociale, à l’exception des assurances rentrant dans le cadre d’un « régime légal de protection sociale ». Or, pour le MLPS, la sécurité sociale est un régime professionnel et non légal « puisque l’affiliation dépend du métier exercé ».
« Ils se sont trompés ou qu’ils ont été trompés »
Une aberration pour Jean-Philippe Naudon. Le directeur de missions du RSI tient à mettre en garde : « M. Reichman est dans l’illégalité la plus complète. L’affiliation à la sécu est obligatoire. Aucun des assurés ayant fait un recours auprès de la justice n’a eu gain de cause. » Selon un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, ces directives ne concernent pas le régime français de sécurité sociale. La cour insiste sur le caractère obligatoire et solidaire de la sécurité sociale française auquel personne ne peut déroger.
Jean-Philippe Naudon rappelle que ces auto-entrepreneurs sont en minorité. En 2016, sur les 2,8 millions de travailleurs indépendants, 728 seulement ont demandé à se désaffilier. Un chiffre tout de même en progression, ils étaient 90 en 2013. Depuis quelques mois, le RSI constate également le mouvement inverse. Des travailleurs indépendants demandent à rattraper leur cotisation et à « rentrer dans le rang car ils se rendent compte qu’ils se sont trompés ou qu’ils ont été trompés ». M. Naudon reconnaît que dans le contexte économique actuel, certains entrepreneurs peuvent avoir des difficultés à payer leurs cotisations. Tout en rappelant que s’écarter de ce système qui repose sur la solidarité nationale, est passible de six mois d’emprisonnement et/ou d’une amende de 15 000 euros.