Amnésie traumatique : « Deux minutes après m’être allongée sur le divan, j’ai revécu la scène »
Amnésie traumatique : « Deux minutes après m’être allongée sur le divan, j’ai revécu la scène »
Par Feriel Alouti
Témoignage. Pour survivre au traumatisme, Mie Kohiyama, comme des nombreuses victimes, a enfoui ces viols dans son inconscient, jusqu’à ce qu’ils ressurgissent trente-deux ans plus tard.
Il y avait bien des signes de mal-être, comme ces troubles alimentaires survenus à l’adolescence, mais aucun souvenir d’une quelconque agression sexuelle. Plutôt une « course en avant », un « malaise insidieux », et une existence consacrée au travail, se rappelle Mie Kohiyama. Puis, fin 2008, il y a eu ce « choc émotionnel » lié à une rencontre avec une femme.
Cette journaliste doit alors faire face à « une explosion de souvenirs très précis liés à la petite enfance » : « Je me voyais au parc en train de jouer aux billes, je me souvenais tout à coup de poèmes que j’avais appris à l’école. C’était presque cinématographique. Je n’ai pas compris ce qu’il m’arrivait. »
Comme de nombreuses victimes de viol, Mie Kohiyama, âgée aujourd’hui de 45 ans, a subi ce qu’on appelle une amnésie traumatique, une période pendant laquelle elle n’a pas eu conscience des violences qu’elle avait subies. Jusqu’au réveil, qui fut brutal.
« J’ai hurlé le surnom de mon agresseur »
« Déstabilisée » par ces images qui surgissent de son esprit, la jeune femme décide, en janvier 2009, d’aller voir un hypnothérapeute. « Deux minutes après m’être allongée sur son divan, j’ai hurlé le surnom de mon agresseur et revécu une scène de viol, mais à la hauteur d’un enfant de 5 ans. » Prise d’une panique « terrible et abominable », elle tente les jours suivants de « refermer le couvercle ». Mais c’est trop tard, la « boîte de Pandore » est ouverte. Tout revient. Les scènes de viols et ces flashs de plus en plus intenses. « Je revivais puissance dix toutes les émotions que j’avais ressenties enfant. »
A l’époque, âgée de 37 ans, Mie Kohiyama a pourtant cette sensation étrange de se retrouver « dans le corps d’une enfant de 5 ans ». Son « premier réflexe », appeler sa mère pour qu’elle écrive à son « agresseur » et « lui demande des explications ». Les trois lettres envoyées sont restées sans réponse.
« J’étais persuadée qu’il allait me tuer. D’ailleurs, je me suis souvenue qu’au moment des faits, il m’avait menacée pour que je me taise. »
En 2011, Mie Kohiyama décide de porter plainte. Lors de sa déposition, elle raconte aux policiers avoir été violée par un cousin éloigné lorsqu’elle avait 5 ans. Il en avait, lui, 39. Mais, malheureusement, les faits qui se sont déroulés en juillet 1977 sont prescrits depuis vingt-quatre ans. Lors de son audition, l’homme reconnaît pourtant bien les nombreux détails donnés par la victime – « la gourmette qu’il portait au poignet gauche », « sa barbe en collier et sa moustache », « la couleur de son survêtement » –, mais nie les faits.
Une méthode pour soigner les vétérans du Vietnam
L’affaire est classée sans suite. En décembre 2013, décidée à obtenir justice, la jeune femme saisit en vain la Cour de cassation. « C’était la première fois en France, rappelle-t-elle, qu’une victime de viols demandait la révision du délai de prescription sur la base de l’amnésie traumatique. »
Son combat judiciaire dans l’impasse, elle décide de mener une thérapie. D’abord, hospitalisée dans une clinique, elle est suivie avec la méthode EMDR, une approche de psychothérapie, développée aux Etats-Unis dans les années 1980 par Francine Shapiro, pour soigner les vétérans du Vietnam victimes de stress post-traumatique. Grâce à cette technique et au travail entamé avec la psychiatre Muriel Salmona, Mie Kohiyama se sent, aujourd’hui, plus « apaisée » : « J’arrive à maîtriser certaines choses, même s’il y a des résurgences de la mémoire traumatique. »
Il y a quelques mois, la journaliste est retournée sur les lieux du crime, une première en quarante ans. Mais cela n’en était pas moins « terrible ». Quand elle s’est approchée de la venelle, située à gauche de la maison de sa grand-tante, où elle avait, cet été-là, passé les vacances, elle a revécu son premier viol, une fellation. Puis, les trois autres survenus en une seule journée « dont un extrêmement brutal », glisse-t-elle avec pudeur.
En 2015, Mie Kohiyama a témoigné sous le pseudonyme de Cécile B. dans un livre intitulé Le Petit Vélo blanc. Celui-ci était posé contre le mur de la ruelle lorsque son violeur est passé à l’acte.
Le Petit Vélo blanc, Cécile B., Calmann Lévy, 2015, 300 pages.