Sept responsables politiques français interdits d’entrée en Israël
Sept responsables politiques français interdits d’entrée en Israël
Par Abel Mestre, Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Le gouvernement israélien leur reproche de soutenir le mouvement en faveur du boycott de l’Etat hébreu et de sanctions en raison de l’occupation en Cisjordanie
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, à Jérusalem, le 12 novembre. / POOL / REUTERS
Israël a décidé d’empêcher sept représentants de la gauche française d’entrer sur son territoire. Motif : ils sont considérés comme des partisans du mouvement international Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), qui vise à dénoncer et à punir la poursuite de l’occupation en Cisjordanie. Ce mouvement est considéré en Israël comme étant foncièrement hostile à l’Etat hébreu lui-même, cherchant à le délégitimer. Le gouvernement Nétanyahou a décidé, depuis 2016, de renforcer fortement son dispositif contre ses partisans, en prenant le risque d’exagérer leur influence réelle.
Parmi ces élus bloqués se trouvent le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, la députée (LFI) Clémentine Autain ou encore les députés européens Pascal Durand (Verts/Alliance libre européenne) et Patrick Le Hyaric (PCF). Il y a aussi les maires communistes Azzedine Taibi (Stains), Eric Roulot (Limay) et Patrice Leclerc (Gennevilliers). Ils font tous partis d’un groupe de vingt personnes qui devaient se rendre entre les 18 et 23 novembre en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Le thème de ce voyage était le sort des prisonniers de sécurité palestinien.
Ses participants espéraient en particulier rencontrer en détention Marouane Barghouti, le plus célèbre des 6 200 détenus palestiniens en Israël, condamné à cinq peines de prison à perpétuité pour son rôle dans l’organisation d’attentats pendant la seconde Intifada. Ils souhaitaient aussi avoir des nouvelles de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, en détention administrative en Israël depuis le 23 août. Une rencontre avec lui aurait été improbable, car le régime de la détention administrative en Israël est extrêmement restrictif. Il ne prévoit ni inculpation formelle ni durée de détention claire. Le Quai d’Orsay s’est dit « préoccupé » par sa situation et a réclamé le droit pour sa famille de lui rendre visite.
« Nous n’autoriserons pas l’accès au territoire à ceux qui appellent activement à s’en prendre à Israël, en particulier quand ils demandent à rencontrer et à conforter un meurtrier patenté comme Barghouti, incitant ainsi à soutenir le terrorisme », a dit le ministre de la sécurité publique israélien, Gilad Erdan, dans un communiqué, également signé par le ministère de l’intérieur.
« Déni de démocratie »
Pour l’heure, les élus bloqués n’ont été informés que par voie de presse. « On ne m’a encore rien notifié, dit Pascal Durand. Si cela se confirme, c’est incompréhensible. Il y a un accord d’association entre l’Union européenne et Israël. J’y suis allé en délégation avec d’autres eurodéputés il y a un an et demi, et l’on avait été reçus à la Knesset. » Pascal Durand se montre d’autant plus surpris par l’évocation du mouvement BDS. « Je n’ai jamais participé à cela. J’ai toujours été un défenseur de la paix, de la solution à deux Etats et du retour aux frontières de 1967. » Selon Haaretz, le ministère de la sécurité publique a notamment prétexté d’une publication sur le compte Facebook de l’élu, qui a relayé un rapport d’ONG sur les « liaisons dangereuses de banques françaises avec la colonisation israélienne ». M. Durand a aussi signé un appel en faveur de la libération de Salah Hamouri.
De leur côté, les députés de La France insoumise (LFI) ont réagi par communiqué. Quatre d’entre eux — Clémentine Autain, Michel Larive, Danièle Obono et Muriel Ressiguier — devaient participer au voyage. « Ce déni de démocratie et de liberté est aussi consternant qu’inacceptable, est-il écrit. (…) Agir pour l’application des résolutions de l’ONU et contre la colonisation constituerait-il désormais un engagement si insupportable qu’il légitimerait, aux yeux des autorités israéliennes, l’interdiction de venir sur leur territoire, y compris pour des élus français ? Comment un Etat qui se dit démocratique peut-il proférer de telles menaces ? »
L’interdiction d’entrée sur le territoire est une pratique récurrente des autorités israéliennes. Mais elle est généralement notifiée à l’arrivée, en particulier à l’aéroport Ben-Gourion. Au début de novembre, un employé de l’ONG Amnesty International, en provenance de Jordanie, a été empêché d’entrer en Cisjordanie à la demande du ministère de la sécurité publique israélien. Là encore, l’argument d’un soutien au mouvement BDS avait été brandi.
Durcir le ton
« Nous avons décidé de passer de la défense à l’attaque, explique-t-on dans l’entourage du ministre Gilad Erdan. On attaque les partisans du BDS avant même qu’ils ne viennent en Israël, en fonction de leurs agissements et de leurs propos aux Etats-Unis ou en Europe. Ils ne se cachent pas, tout le monde peut les suivre. Pas besoin de faire partie du Mossad. » En effet, pour chacun des sept élus, le ministère de la sécurité publique a trouvé des propos tenus en public, des participations à des manifestations, des écrits dans la presse ou sur des réseaux sociaux.
Cette stratégie plus agressive correspond aussi à une irritation diplomatique de plus en plus ouverte de Benyamin Nétanyahou contre l’Union européenne et ses Etats membres, qu’il estime trop focalisés sur la colonisation. Gilad Erdan est l’homme qui, au sein du gouvernement israélien, coordonne la réponse de l’Etat contre le BDS, mouvement qui suscite l’unanimité contre lui en Israël, à droite comme à gauche.
En mars 2016, s’exprimant devant un groupe de diplomates occidentaux, Gilad Erdan avait déclaré que le BDS était « une menace pour tous ceux qui se soucient de démocratie, de droits de l’homme et d’une paix israélo-palestinienne viable. » En août 2016, les ministères de l’intérieur et de la sécurité publique avaient mis en place une équipe commune pour repérer les activistes étrangers du BDS souhaitant venir en Israël afin de bloquer leur voyage. En mars 2017, la Knesset (Parlement) a adopté en dernière lecture un texte de loi interdisant d’accorder un visa ou un titre de séjour à tout étranger défendant des sanctions ou le boycott contre Israël ou ses colonies en Cisjordanie.
En mars également, la presse israélienne rapportait que Gilad Erdan voulait constituer une base de données sur les partisans israéliens de sanctions contre Israël, ce que son entourage dément aujourd’hui. Le procureur général, Avichaï Mendelblit, a exprimé son opposition à une telle initiative. Mais Gilad Erdan veut aller plus loin. Il souhaite que la Knesset fasse entrer dans la loi la possibilité de poursuivre en justice une personne morale ou physique qui encouragerait le boycott du pays. Ce qui représenterait une forme sans précédent de pénalisation de la conviction.