SIMON LANDREIN / SIMON LANDREIN

« Bam ! » Une porte s’ouvre comme sous un coup d’épaule dans les locaux d’un établissement de Rennes. Deux directeurs hospitaliers sursautent. Une dizaine de soignants déboulent dans leur bureau et scandent : « Maintenez ouverte la crèche pour nos enfants ! » Parmi les manifestants, une jeune femme éclate en sanglots. Le directeur général se tourne vers son adjoint et ordonne : « C’est toi le directeur des ressources humaines, va au charbon ! » En vain : la situation dérape.

Une manifestante crie un peu plus fort : « Je suis la représentante de la CGT et vous m’ignorez, je vais vous ramener des couches pleines de caca et les disposer sur votre bureau ! » Déconcerté, un des directeurs écarquille les yeux et oppose un faible « non ». « Stop, on arrête ! » Vincent Skorokhodoff, enseignant chargé des techniques de négociation, sonne la fin de ce qui se révèle être une étude de cas. Les élèves quittent leur rôle et rejoignent leur place dans la salle de cours. Nous assistons à une séance de formation des directeurs hospitaliers de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), à Rennes.

Chaque année, ils sont de 70 à 80 élèves à intégrer cette grande école, avec pour ambition de devenir les futurs directeurs d’un des 135 groupements hospitaliers de territoire. « Le concours est ultra-sélectif », rappelle Alain Mourier, responsable de la formation et ancien directeur adjoint du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes.

« Etre utile et dans l’action »

En effet, avant de poser leurs valises dans la capitale de la région Bretagne, la majorité des candidats sont passés par les classes préparatoires, suivies de plusieurs années dans un Institut d’études politiques (IEP) ou à Science Po Paris pour travailler les grands concours externes de la fonction publique. La voie universitaire est également possible, « principalement pour les titulaires d’un master juridique ou santé et médico-social », indique Alain Mourier.

Pourquoi devenir directeur d’hôpital ? Les étudiants interrogés expliquent vouloir « être utiles et dans l’action ». Cléa Bloch, 26 ans, élève étudiante jusqu’en décembre 2017, a pris son poste de directrice adjointe aux affaires générales et médicales de l’établissement public de santé de Maison-Blanche, à Paris, en janvier : « Je ne m’imaginais pas sortir d’une école et intégrer la fonction publique pour rédiger des notes au fond d’un ministère. Un directeur d’hôpital est sur le terrain, gère de l’humain, des budgets, coordonne des projets et cumule les responsabilités. »

Le directeur d’hôpital serait donc le couteau suisse de la fonction publique, et l’EHESP a pour mission d’inculquer à ses élèves les bases de leurs futures missions transversales. Sur deux années, l’élève directeur doit pouvoir naviguer en relative autonomie sur les sujets de finances, de gestion des ressources humaines, de politiques d’achats, d’élaboration de projets… et, surtout, « le management », souligne Nathalie Robin Sanchez, directrice de l’établissement de santé mentale de Blain (Loire-Atlantique). « La création de groupements hospitaliers a transformé le métier de directeur. Chaque établissement est maintenant ouvert sur le territoire et doit travailler en harmonie avec une constellation complexe de partenaires locaux, développe-t-elle. Il a un rôle d’articulation. » Un chef d’orchestre de la santé.

« Injonctions paradoxales »

Un bémol, toutefois, sur sa partition : les contraintes budgétaires des hôpitaux s’accroissent. En octobre 2017, Agnès Buzyn, ministre de la santé, a estimé que 1 milliard d’économies pourrait être fait. Le directeur est bien aussi un chasseur de coûts, un régulateur des dépenses des équipes soignantes. « Nous sommes au milieu d’injonctions paradoxales, reconnaît Nathalie Robin Sanchez. On doit faire mieux avec moins. Il y a parfois un décalage entre les décisions que l’on doit porter et la réalité de la vie des services. »

« Faire avancer un hôpital, c’est créer des partenariats entre les établissements, travailler avec les médecins de ville, les établissements médico-sociaux, les collectivités territoriales »
Céline Robert-Wasmer, directrice adjointe du centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris

Entre le marteau de la décision politique et l’enclume de la mission de continuité des soins, au directeur d’amortir le choc. Les futurs patrons des hôpitaux sont conscients de la difficulté de leur mission. « Les marges de manœuvre sont ténues, reconnaît Gaëlle Feukeu, élève directrice au centre hospitalier de Compiègne-Noyon. C’est dans ce contexte de contrainte qu’il faut faire preuve d’imagination, de créativité. Nous devons fédérer les énergies. » Cette prise avec la réalité, les élèves directeurs ne l’acquièrent pas entre les murs de l’école rennaise, mais sur le terrain, au contact de leurs aînés.

« Faire avancer un hôpital, ce n’est pas seulement gérer l’existant. C’est créer des partenariats entre les établissements, travailler avec les médecins de ville, les établissements médico-sociaux, les collectivités territoriales. C’est décloisonner des organisations humaines qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, explique Céline Robert-Wasmer, directrice adjointe du centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris. Et cela dans un but : améliorer la qualité des soins apportés aux patients. L’aspect financier pousse à optimiser les organisations. »

La formation sur le terrain, les élèves l’acquièrent à travers un stage de près d’une année, qu’ils suivent au long de leurs deux ans d’apprentissage. Une durée insuffisante, jugent plusieurs enseignants, qui travaillent à une reconfiguration de la formation pour privilégier l’alternance, avec deux semaines à l’école suivies de deux mois en établissement et, en fin de cursus, une période de spécialisation, dernier galop d’essai avant d’intégrer un centre de santé avec le titre de directeur. La réforme pourrait être mise en place dès la rentrée de janvier 2019, si les représentants du monde hospitalier donnent leur feu vert.