Depuis le soir du 31 décembre 2017, chaque dimanche, les téléspectateurs israéliens regardent la deuxième saison de la série Fauda (« chaos », en arabe) sur la chaîne Yes. Les avis ont beau être mitigés, le succès est au rendez-vous pour cette fiction inspirée du conflit israélo-palestinien. Cette nouvelle saison prend la suite de la première, diffusée en 2015, qui racontait la traque en Cisjordanie par une unité des forces spéciales israéliennes d’un Palestinien affilié au Hamas et responsable de plusieurs attentats.

L’intrigue s’appuie sur l’expérience de ses deux créateurs, Avi Issacharoff et Lior Raz. Le premier est un journaliste rompu au terrain palestinien, le second a servi dans une unité spéciale de Tsahal, Douvdevan. Tous deux voulaient témoigner ; l’un en écrivant un livre, l’autre en réalisant un film. Ils décident de faire une série télévisée. Les grandes antennes de télévision refusent d’abord le projet, jugeant le sujet trop sensible. Finalement, la chaîne du câble Yes prend le risque. La diffusion de Fauda commence le 15 février 2015, et, contre toute attente, la série décroche des résultats d’audience inespérés en Israël, avant d’être distribuée, dès la fin 2016, dans certains pays à l’étranger (mais pas en France) par Netflix.

Nous avons voulu « ouvrir une fenêtre sur un monde que les gens ne connaissent plus ». Avi Issacharoff, co-auteur de « Fauda »

En Israël, le succès de Fauda est paradoxal. L’ancrage de la fiction dans le réel ne peut que rappeler aux téléspectateurs leur expérience du conflit au quotidien : la présence militaire en Cisjordanie, les commandos nocturnes israéliens dans des villes palestiniennes, le terrorisme palestinien.

Loin de vouloir « changer le public israélien », les auteurs ont plutôt voulu « ouvrir une fenêtre sur un monde que les gens ne connaissent plus », selon Avi Issacharoff. « On offre à voir l’autre côté [palestinien] auquel ils n’ont plus accès » depuis la construction du mur et l’interdiction aux civils israéliens de se rendre dans les territoires palestiniens (sinon dans les colonies en zone C). Fauda montre aussi une réalité « qu’on ne veut plus regarder ici », l’occupation en Cisjordanie, ajoute-t-il.

Selon Yael Ben Moshe, universitaire israélienne spécialiste des médias, la série, grâce à son réalisme, suscite en fait la « curiosité » du public, en rappelant des situations vécues, mais « dont on ne parle pas ». « Presque tous les Israéliens font l’armée. Certains peuvent donc se retrouver dans des épisodes et s’identifier aux personnages. D’ailleurs, c’est bien pour cela que ce type de fiction ne deviendra jamais un divertissement : elle colle trop au réel. »

La panique créée fin décembre par la campagne d’affichage précédant la deuxième saison en est le meilleur exemple : pour faire la promotion de la série, des panneaux noirs avec des inscriptions en arabe avaient été installés dans plusieurs villes israéliennes. Des résidents israéliens ont porté plainte, au prétexte qu’ils se sentaient menacés. Du fait que la série est autant arabophone que hébréophone, il est naturel que sa promotion se fasse dans ces deux langues, a répondu la chaîne Yes. Si la polémique a rapidement été dissipée, elle montre « que les gens sont de plus en plus racistes et paniqués, rien qu’en voyant des mots écrits en arabe », observe Avi Issacharoff. Il reconnaît néanmoins que, pour la série, ce fut « la meilleure publicité jamais imaginée ».