« Les véhicules autonomes vont arriver dans les villes sous différentes formes »
« Les véhicules autonomes vont arriver dans les villes sous différentes formes »
Propos recueillis par Jessica Gourdon
Le Français Martial Hébert, qui dirige l’Institut de robotique de Carnegie-Mellon, à Pittsburgh, évoque les défis de la recherche sur les véhicules autonomes et leur arrivée progressive dans les villes.
General Motors, Google, Uber, Ford… Ces entreprises américaines, qui dépensent des millions de dollars pour développer des véhicules autonomes, ont un point commun : elles ont puisé leurs forces vives au sein de l’Institut de robotique de l’université Carnegie-Mellon, l’un des meilleurs centres de recherche au monde dans ce domaine. Situé à Pittsburgh (Pennsylvanie), ce laboratoire américain, au budget de 76 millions de dollars, est dirigé par le Français Martial Hébert, ancien élève de l’ENS Cachan et docteur de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria).
A Pittsburgh, des VTC autonomes ont été mis en circulation par Uber. D’autres tests sont en cours dans le monde. Comment imaginez-vous la montée en puissance de ces technologies dans les villes ?
Les véhicules autonomes vont arriver dans les villes sous différentes formes. Les minibus automatiques, tout d’abord. Ces navettes circulent déjà sur des petits segments, notamment en France. Demain, elles rouleront sur des circuits de plus en plus longs. Les voitures en ride sharing [VTC à la demande, partagés ou non], comme ce que fait Uber à Pittsburgh, sont un autre axe de développement majeur. Pourquoi ? Parce que ces véhicules sont un peu comme des navettes. Ils commencent par fonctionner sur des circuits précis, très fréquentés et très bien cartographiés. Petit à petit, ils vont étendre leur périmètre de circulation.
Une autre voie de déploiement, ce sont les camions sur les autoroutes — là aussi, on est proche du basculement, car ce sont des itinéraires qu’on contrôle. Mais ce qui prendra plus de temps, c’est d’avoir des voitures autonomes qui vont n’importe où et n’importe quand. Ça, c’est beaucoup plus lointain.
Sur quoi portent les difficultés de la recherche aujourd’hui ?
La conduite sur autoroute est bien maîtrisée. Ce qui est difficile, ce sont les environnements complexes du type Paris un samedi soir, avec des piétons et des vélos partout. Une grande partie du travail de la recherche aujourd’hui, c’est la prédiction des comportements à partir de la perception. Ce qu’on demande à ces systèmes, c’est d’être comme ces joueurs de football qui ont une image instantanée de ce qui se passe et va se passer sur le terrain.
Un autre défi, c’est de donner à ces voitures un semblant de conduite naturelle. Conduire, ce n’est pas seulement éviter les obstacles et aller à la bonne vitesse. C’est aussi avoir un comportement compréhensible par les autres conducteurs et qui peut être anticipé. Aujourd’hui, beaucoup de petits incidents rencontrés par les voitures autonomes sont liés à leur respect à la lettre des règles ! Au fait qu’elles ralentissent « trop » avant un carrefour, par exemple.
Cette conduite naturelle passe par une meilleure communication entre les véhicules, autonomes ou non. Actuellement, les rampes d’accès à une autoroute ou les ronds-points sont des situations très complexes, car ils font appel à une communication implicite entre véhicules : on « sent » ce que la voiture s’apprête à faire. Et c’est très difficile à traduire. Tous les industriels sont en train de dépenser des sommes fabuleuses pour arriver à résoudre ce type de problème. Il y a des entreprises qui génèrent des millions de simulations de ronds-points !
Enfin, le troisième défi, c’est ce qu’on appelle la « vérification des systèmes ». L’idée, c’est de certifier que si mes paramètres sont X, ma performance sera Y. La grosse difficulté, c’est de faire cela dans un système où le fonctionnement ne dépend pas juste de l’exactitude de lignes de code. Il dépend de données que l’on récolte en temps réel et qui évoluent sans cesse.
Début 2015, Uber a débauché quarante chercheurs de votre institut. Est-ce difficile pour un laboratoire universitaire comme le vôtre de rester attractif, alors que le secteur privé est de plus en plus offensif pour recruter des spécialistes de l’intelligence artificielle ?
Oui, Uber a embauché quarante salariés chez nous, essentiellement du personnel de recherche. Mais il ne faut pas croire que tout s’est arrêté ! Nous avons toujours soixante enseignants-chercheurs, 270 ingénieurs ou de techniciens de recherche, 350 étudiants en master ou en doctorat…
Ce qui est sûr, c’est qu’on a envie de travailler différemment avec les industriels, trouver des moyens de fournir aux entreprises des compétences, tout en gardant nos ressources et la qualité de nos formations. Cela peut passer par des mises en disponibilité partielles de nos chercheurs. Ensuite, il faut qu’on produise plus de diplômés autour de la robotique et de l’intelligence artificielle. Les diplômés, notamment de niveau master, sont très recherchés. Certains ont des propositions à 200 000 dollars par an.