Jeu vidéo : « Far Cry 5 », jouissive corrida dans une Amérique perchée
Jeu vidéo : « Far Cry 5 », jouissive corrida dans une Amérique perchée
Par William Audureau
La dernière superproduction d’Ubisoft transforme le Montana en terrain de jeu permissif, foutraque et explosif.
Un chien, une snipeuse et un avion de votre côté : c’est bien le minimum dans ce jeu qui donne régulièrement dans la surenchère. / Ubisoft
Hurk Drubman Jr a un lance-roquettes. Lorsqu’on le rencontre pour une mission, il nous conseille de passer par l’arrière, « comme [son] grand-père pendant la seconde guerre mondiale avec les prostituées ». Il est « juste dangereusement débile », précise sa fiche de personnage. Mais aux côtés de Nick Rye, pilote d’avion extravagant, de Sharky Boswhaw, pyromane inarrêtable, ou encore d’un grizzly (parce que pourquoi pas un grizzly ?), il fait partie des neuf mercenaires dont le joueur pourra s’attacher les services dans Far Cry 5, le jeu de tir en monde ouvert sorti, sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, mardi 27 mars.
Far Cry 5 se déroule dans le comté fictif de Hope County, où une secte d’illuminés millénaristes armés jusqu’aux dents s’est autopersuadée que la fin des temps était proche, et que prendre en otage l’intégralité de la population civile était la meilleure solution pour s’assurer de leur rédemption. L’héroïne ou le héros, officier de police coincé au Montana après avoir échoué à capturer leur gourou, va devoir, petit à petit, par ses exploits, se muer en meneuse ou meneur de la Résistance.
Far Cry 5 - Trailer Résistance [OFFICIEL] VOSTFR HD
Durée : 01:33
Secte quelconque, mais ton extravagant
On imaginait le jeu engagé, il est surtout déjanté. Le nouveau blockbuster d’Ubisoft avait semé le doute en mai 2017 lors de son annonce, en laissant imaginer un titre politique, dont les suprémacistes blancs seraient l’ennemi principal. De cette secte que l’on a crue métaphorique, il n’y a finalement pas grand-chose d’intéressant à dire, si ce n’est que son leader, Joseph Seed, incarné par l’acteur canadien Greg Bryk (A History of Violence, de David Cronenberg, Saw 5, de David Hackl) est d’un magnétisme ensorcelant.
Ses sujets se divisent essentiellement en soldats anonymes, muets et interchangeables, que l’on se délecte tout de même à entendre chantonner les airs country de propagande de la secte, et d’autre part des illuminés sous drogue, dont le comportement agressif et décérébré rapproche plus de zombies que de protagonistes sérieux. A cet égard, on est plus proche d’un Resident Evil à ciel ouvert.
Joseph Seed, le gourou qui veut racheter la population du Montana… en la capturant et en l’écorchant vive. / Ubisoft
En réalité, si Far Cry 5 prend bel et bien pour cadre un Etat trumpien, en l’occurrence celui du Montana, c’est moins pour s’attaquer au néonazisme qu’à une secte d’illuminés, et d’une manière générale, à une sulfureuse parodie de l’Amérique profonde, faite de festival des testicules, d’amateurs d’armes fêlés et de pilotes de supertrucks maquillés comme des catcheurs mexicains.
Ceux qui avaient déjà exploré l’île paradisiaque de Far Cry 3 et les hauteurs himalayennes de Far Cry 4 ne seront que peu surpris : la franchise s’est fait une spécialité des cadres exotiques à la nature intense, et surtout des lieux traités de manière théâtrale et décalée. Ce cinquième opus ne déroge pas à la règle. Même si en prenant pour matière première l’un des poumons de la première puissance mondiale, il revêt une saveur toute particulière, qui le rapproche de la satire au vitriol des Grand Theft Auto. En moins urbain, en plus perché.
Des personnages hauts en couleur
Son humour corrosif, le jeu le fait passer à travers toute une galerie de personnages secondaires hauts en couleur, que l’on délivre, que l’on aide ou qui se joignent à nous, comme les mercenaires. Un pasteur résistant qui cache un revolver dans une fausse Bible. Une snipeuse d’élite hantée par la mission de protéger la tombe de son père. Un complotiste fou persuadé que le gouvernement le manipule à travers la nourriture. Un politique sénile pestant contre les « gauchos » qui ont voté Obama. Un cuisinier qui veut restaurer la fierté locale en cuisinant des testicules de taureau.
ASV ? / Ubisoft
Ce sont eux qui donnent sa richesse et sa folie à ce Montana replié sur lui-même. A travers eux, c’est l’Amérique des laissés pour compte que l’on retrouve, mais aussi une Amérique mythologique, où la bannière étoilée sert de vêtements, où des promeneurs s’arrêtent auprès d’un feu de camp pour partager un air de country, tous traités avec un égal mélange de tendresse et de moquerie.
Festival de possibilités
Et le joueur, alors ? Dans ce théâtre géant de silos agricoles, de champs de maïs et de bétail, il fait office d’électron libre, voire d’agent du chaos. Infiltration d’avant-poste, dogfight aérien en hydravion, réparation de canalisations, course chronométrée à travers des arceaux en feu, chasse au cerf, course-poursuite avec un hélicoptère ou encore escorte de vaches, Far Cry 5 brille par son éclectisme autant que par les mille manières qu’il offre pour laisser sa trace sur ce Montana.
Ce coucou ne le sait pas encore, mais il est déjà mort. / Ubisoft
Les grands amateurs de jeux en monde ouvert, dont Ubisoft est un champion, apprécieront par ailleurs la fluidité de celui-ci. Ce n’est pas seulement que les paysages majestueux et la réalisation de très haute volée invitent à la contemplation ; c’est que, pour une fois, l’éditeur français n’a pas cédé à la facilité d’un découpage artificiel en nombreuses régions avec autant de tours absurdes à escalader. Ici, le Montana se découvre essentiellement par soi-même, au besoin en prenant de la hauteur en hélicoptère ou en avion, ou en trouvant des plans ça et là. Même la carte du monde brille par son épure et sa lisibilité.
Parfois subversif, souvent exagéré
Les missions elles-mêmes sont impeccablement rythmées et variées, à l’image d’une scène d’introduction épique ou d’une séquence de fuite haletante depuis les geôles souterraines du bunker du gourou. Parfois, le jeu donne dans l’iconoclaste et le subversif, comme cette fusillade entre les tombes d’un cimetière américain, ou d’assaut armé au cœur d’une église.
Mais le plus souvent, il fait dans la surenchère et le n’importe quoi, à la manière de la destruction d’une statue géante, de la défense d’un fort contre des illuminés soûlés de musique country, ou encore d’une curieuse scène, pas très vegan, de mise à mort de taureaux en plein coït. Far Cry 5 est excessif dans tous ses paris, dans toutes ses caricatures.
Cette église est l’un des lieux à capturer. / Ubisoft
A noter qu’à plusieurs reprises, de légers bugs en apparence anodins se sont avérés au final très contrariants, comme des personnages secondaires qui interrompent spontanément un dialogue, l’attention captée par un ennemi lointain, et refusent d’y revenir ; des objectifs réussis qui ne sont pas pris en compte, obligeant à reprendre la dernière sauvegarde ; ou encore une intelligence artificielle pas toujours bien brillante, voire capable de bugger en pleine mission coopérative. Mais à ce niveau-là de générosité, difficile d’en tenir rigueur à cette aventure montanienne caustique, décalée et enivrante.
En bref
On a aimé :
- La reconstitution sublime du Montana
- L’ambiance champ de maïs, bunkers et drapeaux étoilés
- La satire sociale discrète mais mordante
- Un grand fourre-tout de moyens de locomotions
- Rythme et progression impeccablement huilés
- Scène d’introduction mémorable
- Boomer le chien, meilleur acolyte
- La bande-son irrésistible
On n’a pas aimé :
- La secte est au final assez quelconque
- Quelques bugs agaçants
- Le jeu dans le jeu, Far Cry Arcade, n’est pas vraiment un jeu rétro
C’est pour vous si :
- Vous avez aimé Far Cry 4
- Vous avez aimé GTA V
- Vous avez aimé le Montana
- Et voir des taureaux monter des vaches
Ce n’est pas pour vous si :
- Vous espériez combattre des suprémacistes blancs
- Tuer des animaux sauvages en jeu vidéo, ça vous dérange
La note de Pixels
4th of July/4.