Toulouse : dans le quartier du Mirail, heurts violents entre jeunes et police
Toulouse : dans le quartier du Mirail, heurts violents entre jeunes et police
Par Philippe Gagnebet (Toulouse, correspondance)
Le contrôle d’identité d’une femme en niqab dimanche 15 avril et le suicide d’un détenu de la prison de Seysses, la veille, auraient mis le feu aux poudres.
Dans le quartier du Mirail, à Toulouse, le 17 avril. / REMY GABALDA / AFP
« La situation demeure très fragile. Les forces de l’ordre resteront massivement présentes dans les jours à venir pour éviter toute reprise des incidents », prévient Pascal Mailhos, préfet de la région Occitanie, après les violents affrontements qui se déroulent depuis dimanche 15 avril dans le quartier du Grand Mirail, dans le sud-ouest de Toulouse. Un ensemble de 30 000 habitants environ, construit dans les années 1970, passé de l’utopie de la cité radieuse à la tension permanente. En 1998 déjà, après la mort d’un jeune de 17 ans, mortellement blessé par un brigadier de police qui tentait de l’interpeller, le quartier avait connu une série d’émeutes, avant celles des banlieues en 2005.
En trois jours, dans les cités populaires de Reynerie et Bellefontaine classées en zone de sécurité prioritaire, Bagatelle et même à Blagnac ou Colomiers, des villes de proche banlieue, les policiers ont interpellé 23 personnes, pour moitié extérieures au quartier. Parmi elles figurent six mineurs. Près de soixante voitures ont été incendiées, ainsi que des dizaines de poubelles. On ne déplore que quelques blessés légers. Mercredi 18 avril, une peine de six mois de prison, dont trois avec sursis, a été prononcée à l’encontre d’un jeune de 18 ans pour avoir jeté des pierres sur les policiers. Trois mineurs ont été placés sous contrôle judiciaire et un quatrième a été placé en détention provisoire. Vendredi, dix autres personnes seront présentées en comparution immédiate.
S’il est difficile de dire très précisément ce qui a emflammé le quartier, une conjonction de facteurs peut en être à l’origine. Tout a débuté dimanche après l’interpellation, aux alentours de 17 h 30 dans le quartier Bellefontaine, d’une femme vêtue d’un niqab. Après avoir refusé de montrer son visage, selon la police, elle présente une photocopie de sa carte d’identité. S’ensuit une série d’insultes et les fonctionnaires la plaquent au sol et la menottent comme le montre une vidéo publiée par France 3. Rapidement entourés par une trentaine de personnes, les policiers font alors usage de bombes lacrymogènes pour les disperser, avant de placer la femme en garde à vue. Elle comparaîtra devant le tribunal correctionnel mi-mai pour « rébellion et outrage et violences sur personne dépositaire de l’autorité publique ».
Rumeurs
Un autre événement aurait mis le feu aux poudres. Samedi, à la maison d’arrêt de Seysses, située à quelques kilomètres de là, un jeune homme de 27 ans, prénommé Jaouad, originaire du quartier, est retrouvé mort dans sa cellule après un incident survenu avec un surveillant. Le procureur de la République de Toulouse confirme un suicide : « Le décès est la conséquence d’un symptôme asphyxique compatible avec une pendaison. » Mais les rumeurs vont bon train. Le jeune homme, mis en cause dans une affaire criminelle et en attente de son jugement devant la cour d’assises, aurait au contraire été tabassé à mort. A Seysses, 200 détenus refusent de réintégrer leur cellule. Sur les réseaux sociaux, les appels à « casser du flic » ou « mettre le feu » se succèdent selon la police. Toute la soirée de dimanche, de 20 heures à 23 h 30, « des groupes d’individus ont incendié des véhicules et des conteneurs poubelles. Il s’en est suivi des caillassages violents contre les forces de l’ordre », affirme la direction départementale de la sécurité publique. Sa famille a depuis appelé au calme et organise jeudi 19 avril une marche blanche en son honneur.
« Ils vont se calmer, pronostiquait un commandant de police habitué des lieux. On sait très bien que le trafic de stups fait vivre le quartier, les dealers ne peuvent pas se permettre d’interrompre leurs affaires plus de trois jours. » Dans un bloc voisin, à « Varèse », ou un peu plus loin, chemin Auriacombe, le chiffre d’affaires quotidien des points de vente de cannabis, herbe ou de cocaïne, atteindrait plus de 40 000 euros selon le fonctionnaire. Depuis le début de l’année, de vastes opérations tentent de démanteler les réseaux. Cent cinquante kilos de cannabis ont ainsi été saisis par la police et les douanes, ainsi que des dizaines de milliers d’euros en liquide. Ce serait la véritable raison de ces émeutes : « Une guerre de territoire afin que les délinquants puissent trafiquer tranquillement », selon Didier Martinez. Le 10 février, quatre habitants de la Reynerie ont par ailleurs été mis en examen pour « assassinat en bande organisée » et « meurtre avec préméditation » après une série d’une dizaine d’assassinats en cinq ans.
Taux de chômage élevé
Pour la population, la coupe est pleine. Après une réunion tenue à la mairie de quartier avec des associations, la ville et la préfecture ont envisagé établir un « couvre-feu qui viserait les personnes mineures dans le périmètre des quartiers concernés », mais le maire Jean-Luc Moudenc (LR) y a renoncé pour l’instant et « attend surtout des mesures concrètes du plan Borloo ». Un salarié de la régie de quartier de Bellefontaine, qui souhaite rester anonyme, estime que « ça ne servirait à rien. Les jeunes se font contrôler et harceler par les flics chaque soir. Ici, c’est du boulot qu’il faut, du respect envers les habitants ». Le taux de chômage grimpe jusqu’à 40 % par endroits.
A Bellefontaine, où la population a été divisée par deux en quelques années, passant de 15 000 à 8 000 habitants après la démolition de barres, l’emblématique PMU du rond-point est à vendre. Kaddour, qui tient ce rare café, est « à bout », tandis que deux collèges vont déménager. Au bord du lac de la Reynerie, la mission locale se cache derrière de grands grillages et un restaurant a fermé depuis bien longtemps. En visite le 9 mars dernier, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a annoncé trente fonctionnaires de plus pour la police de sécurité et du quotidien du Mirail. Un dispositif qui rappelle l’ancienne police de proximité, mise en place en 1998. Débarqué sèchement par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, le patron départemental de la police, Jean-Pierre Havrin, avait encaissé, mais jugeait alors que « cette disparition faisait perdre quinze ans d’efforts sur le terrain, de liens forts tissés avec les habitants ». C’était en 2003.