« La loi sur le mariage pour tous a été un facteur extrêmement puissant d’intégration »
« La loi sur le mariage pour tous a été un facteur extrêmement puissant d’intégration »
Propos recueillis par Eléa Pommiers
La sociologue Irène Théry, spécialiste du droit et de la famille, revient sur les mobilisations de 2013 et considère que la loi est aujourd’hui « intégrée par tous ».
Le premier mariage homosexuel français, célébré à Montpellier le 29 mai 2013. / GERARD JULIEN / AFP
C’était il y a cinq ans, le 23 avril 2013. L’Hémicycle du Palais-Bourbon résonnait au son du mot « égalité » scandé par les députés de la gauche. L’Assemblée nationale venait d’adopter le projet de loi ouvrant le droit au mariage aux couples de même sexe, après d’âpres et longs débats et une importante mobilisation de la droite, notamment catholique, opposée à l’adoption du texte.
Selon Irène Théry, sociologue du droit et de la famille, malgré cette violente opposition, il est désormais « admis que les couples homosexuels ont exactement les mêmes droits que les autres ».
Cinq ans après son adoption, le droit au mariage pour tous est-il pleinement entré dans les mœurs françaises ?
Oui, incontestablement. Le droit au mariage pour tous incarne l’aboutissement d’une évolution majeure du rapport de la société à l’homosexualité. Autrefois, elle était considérée comme une transgression et une pathologie, et nous sommes peu à peu passés à l’idée qu’elle était une orientation sexuelle parfaitement normale, à laquelle il fallait faire sa place. La loi sur le PACS de 1998 avait déjà été une grande avancée : elle avait permis de redéfinir le couple en droit civil, instituant pour la première fois dans notre histoire le couple de même sexe.
La loi sur le mariage pour tous est allée encore plus loin en reconnaissant que la relation homosexuelle pouvait, en tant que relation de couple, s’intégrer à notre système familial et à notre conception de la parentalité. Elle a été un facteur extrêmement puissant d’intégration.
La légitimité des couples de même sexe, mariés ou non, est aujourd’hui beaucoup plus importante qu’avant cette loi. On voit des hommes politiques s’afficher, des célébrités… Il y a une plus grande visibilité de ces couples, qui existaient déjà, mais que la loi a rendus officiels. Aujourd’hui, qu’on choisisse l’union libre, le PACS, le mariage, il est admis que les couples homosexuels ont exactement les mêmes droits que les autres.
Le droit au mariage pour les couples homosexuels a pourtant été très combattu en 2013…
En effet, et c’est un paradoxe terrible pour les homosexuels : ils ont le sentiment que l’année de leur triomphe matrimonial et de leur intégration au cœur du pacte républicain a aussi été la pire de leur vie. Ce qu’on a vu se réveiller en 2013, c’est un secteur familialiste, traditionaliste, très religieux, qui s’était opposé de la même manière à toutes les grandes réformes des années 1970 : l’autorité parentale conjointe en 1970, l’égalité entre les enfants légitimes et naturels [hors mariage] en 1972, le divorce par consentement mutuel en 1975… A l’époque, ils hurlaient déjà à la fin de la civilisation.
Au moment du mariage pour tous, on s’est rendu compte que cette partie de l’opinion, qui ne s’était plus manifestée depuis le vote du PACS, n’avait jamais accepté toutes ces évolutions et était capable de se mobiliser de manière très organisée et puissante. En 2013, cette contestation à la loi a suscité une très nette flambée de l’homophobie, et il est difficile de savoir ce qu’il en est aujourd’hui.
En 2013, la Manif pour tous, des opposants au mariage pour tous, réunit plusieurs centaines de milliers de personnes à l’occasion d’importantes manifestations qui auront des répliques jusqu’en 2015. / MARTIN BUREAU / AFP
Qu’est-ce qui explique la force qu’a eue cette mobilisation ?
La loi de 2013 allait bien au-delà du PACS, puisqu’elle touchait à une institution, le mariage, qui a un écho dans toutes les religions du Livre. Toutes allaient être amenées à se poser la question du lien entre le nouveau mariage civil et le mariage religieux, qui est forcément l’union d’un homme et d’une femme.
Cela a suscité beaucoup d’inquiétude dans ces milieux, où l’on s’est demandé si les fondements de l’union religieuse n’allaient pas être fragilisés par un mariage civil de même sexe. Sans compter que le mouvement a réussi à mobiliser au-delà de la sphère d’influence religieuse traditionnelle, car beaucoup de personnes, même chez les progressistes, ont eu peur d’un effacement de la distinction entre les sexes. Avec le temps, ils se sont aperçus que la loi n’avait fait qu’ajouter et n’avait rien supprimé.
Mais même si on a eu l’impression que la France était divisée en deux, je n’ai jamais cru à cette version. A l’époque, les enquêtes donnaient une grande majorité de Français favorables au mariage pour tous, et l’opposition a été, je crois, largement surévaluée.
Le problème, c’est que la mobilisation des soutiens n’a pas été aussi conséquente. Et il y a eu un vrai déficit de pédagogie chez les responsables politiques sur le projet de loi : ni François Hollande ni Jean-Marc Ayrault [alors premier ministre] n’ont pris la parole entre l’été 2012 et l’ouverture des débats en 2013 ! François Hollande avait même dit aux maires qui ne voulaient pas célébrer les mariages qu’ils pourraient exercer leur « liberté de conscience », avant de se rétracter très vite. Il a, finalement, fallu attendre le grand discours de Christiane Taubira devant l’Assemblée [à l’ouverture des débats en janvier 2013] pour que soient réellement expliqués le sens et la portée de cette loi.
Malgré cette opposition virulente, la loi est désormais largement acceptée, comment l’expliquez-vous ?
Le mariage n’est pas simplement un droit, c’est aussi une noce, une célébration. Beaucoup de personnes, y compris des opposants, ont connu des mariages de personnes de même sexe autour d’eux. Ce rite qui rassemble des familles et des amis autour d’un couple a puissamment renforcé la portée symbolique de la loi.
Et surtout, le changement a paru brutal en 2013, mais il avait, en réalité, des racines très profondes et s’inscrivait dans l’évolution longue de la conception du mariage et du couple en France. Tel qu’il existait jusque dans les années 1970, le mariage rendait impossible l’idée même d’une union entre deux personnes de même sexe puisque son sens premier était la « présomption de paternité » : sa raison d’être était de donner un père aux enfants mis au monde par les femmes.
Mais en 1972, la loi a établi que les enfants nés hors mariage auraient les mêmes droits que les enfants dits légitimes. La question de la filiation a cessé d’être le cœur du mariage, qui est devenu l’institution d’un lien de couple. Avec la reconnaissance, en 1998, du fait que deux personnes de même sexe pouvaient légalement former un couple, en 2013, le droit et la société étaient tout à fait prêts à accepter que les couples homosexuels aient le même droit au mariage que les couples hétérosexuels. C’est aussi ce qui fait que cette loi est si solide aujourd’hui.
L’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes n’a pourtant pas été adoptée en 2013 et continue de faire débat. La contestation s’est-elle déplacée sur ce sujet ?
La question de la filiation était et reste « le » sujet de discorde, sur lequel l’opposition la plus traditionaliste n’a pas désarmé. Pourtant, la loi sur le mariage pour tous a franchi un pas symbolique majeur en ouvrant l’adoption aux couples homosexuels et donc en considérant qu’un enfant pouvait avoir deux pères ou deux mères. Ça a été fondamental dans la légitimation de l’homoparentalité.
Mais il existe une petite opposition, essentiellement religieuse, très déterminée, qui fait tout pour reproduire le climat de violence que l’on a vécu en 2013. Par exemple, les militants de la Manif pour tous rejouent en ce moment dans les états généraux de la bioéthique les mêmes batailles qu’en 2013, qui montrent que leur rejet de l’homoparentalité n’a pas diminué, et qui laissent présager que les débats à venir sur la PMA vont être difficiles.