Chris Froome en plein effort lors de la première étape, après avoir chuté sur le bas-côté. / Jeff Pachoud / AP

Cent quatre-vingt-quinze kilomètres d’ennui pour débuter, cinq de folie pour finir : le Tour de France 2018 s’est ouvert sur ce schéma à la fois habituel et toujours riche en sensations. Agréables pour l’étoile montante du sprint Fernando Gaviria, premier Maillot jaune, pénibles pour Froome, Quintana, Yates, ou Porte, qui regardent déjà Romain Bardet de derrière.

Froome sait aussi tomber

Promis, personne ne l’a poussé. Ou alors si, mais ce n’est pas un Français et pas un spectateur. Christopher Froome est tombé, samedi 7 juillet, sur la D23 qui mène à Fontenay-le-Comte, dans un virage sur la commune de Saint-Martin-de-Fraigneau où l’on ne posera sans doute pas de plaque, il ne faut pas exagérer. C’est un léger écart d’un costaud de l’équipe Katusha qui a fait tomber le frêle Froome sur le bas-côté.

Vous pouvez voir la vidéo ici, et même la vidéo en caméra embarquée du coureur qui suit Froome ci-dessous.

Il restait cinq kilomètres avant l’arrivée et dans ce cas-là, il n’y a pas de miracle : sur la ligne, l’infortuné a déboursé 51 secondes. Il les reprendra sans doute lors du contre-la-montre par équipes à Cholet, lundi, mais c’est toujours ça de pris pour Romain Bardet et les autres leaders qui ne sont pas aussi bien équipés en prévision de cet exercice. Chose étrange, d’ailleurs, les trois leaders piégés sont ceux dont l’équipe apparaît la plus solide dans le contre-la-montre par équipes : Richie Porte (BMC), Adam Yates (Mitchelton-Scott), et Froome, donc.

• Le classement général complet après la première étape

Après la ligne d’arrivée, Froome a filé loin devant son garde du corps qui, même sur son VTT, n’a pu l’escorter au milieu d’une foule finalement bienveillante. Il saignait du coude droit mais sans gravité, rassurait-il immédiatement au micro d’En Danseuse (et de 46 autres médias) : « On savait que les premiers jours seraient piégeux, bizarres. On était vraiment dans le premier tiers du peloton, les gars ne pouvaient rien faire de plus. C’était assez chaotique avec les sprinteurs qui voulaient se placer. Je suis simplement heureux de n’être pas blessé. Il reste beaucoup de route. »

A ce sujet, deux observations : non, Froome n’était pas idéalement placé et se situait plutôt vers le milieu du peloton, sans protection immédiate, au bord de la route. Et oui, il reste beaucoup de route mais ces 51 secondes représentent à trois secondes près son avance sur son dauphin, Rigoberto Uran, à Paris l’an passé. Même si Froome ne se ressent pas de cette blessure les prochains jours, même s’il dort bien la nuit, ce moment ne sera pas anodin dans le scénario de ce Tour de France.

Sauf retournement de situation dimanche, la Sky partira en deuxième position lors du contre-la-montre par équipes et donc sans référence chronométrique. La présence de Geraint Thomas, aspirant leader, au sein du premier peloton, brouille les pistes au sein de la Sky alors que le Gallois avait déjà souligné, en conférence de presse avant le Tour, qu’il faudrait faire le point sur la situation dans les Alpes pour déterminer la stratégie de la Sky. On vous laisse analyser par vous-même sa déclaration d’après-course, relayée par le site officiel de l’équipe : « Toujours sympa de s’en sortir sans dommage et de se dire qu’on a passé une étape. Plus que 20 ! »

Nicolas Portal, directeur sportif de la Sky, a longuement pris des nouvelles de son champion qui redescendait en pression sur les rouleaux d’entraînement, avant de le rassurer. Il a ensuite dit d’une voix très calme et avec des mots plus choisis que oui, c’était très con : « Un Tour de France se gagne à très peu. Tous ces gars travaillent très très dur pour gagner du temps, être aérodynamiques, grimper plus vite, pousser plus fort. S’ils perdent du temps parce qu’ils sont moins forts, quelque part c’est juste. S’ils perdent du temps sur chute, c’est rageant. Pendant longtemps, Chris n’est pas tombé, là il tombe au Giro (en reconnaissance lors du prologue, ndlr) puis maintenant, c’est comme ça. »

Et on se gardera bien de dire que Lance Armstrong, lors de la seconde partie de sa carrière, s’était mis à tomber souvent dans le peloton, lui qui ne tombait auparavant jamais.

Les Colombiens savent aussi sprinter

Et en plus, Gaviria nargue Sagan en lui indiquant l’écart entre leurs deux vélos. / Peter Dejong / AP

On connaissait les petits modèles colombiens virevoltant dans les lacets, il va désormais falloir s’habituer à en voir un bombarder sur les larges avenues. On pourrait mettre un Nairo Quintana dans chacune des cuisses de Fernando Gaviria, 23 ans, ancien pistard (double champion du monde d’omnium 2015 et 2016) et étoile montante du sprint mondial, qui est allé plus vite que Sagan, Kittel et tutti sprinti, samedi, à Fontenay-le-Comte. Revoyons l’action au ralenti :

Premier Tour de France, première étape, victoire et maillot jaune : « El Misil » n’a pas raté sa cible. « Il était un peu nerveux, il nous l’a avoué avant le début de l’étape », admet son coéquipier chez Quick-Step Julian Alaphilippe. « On a essayé de le calmer, il était très stressé ces derniers jours, confirme Patrick Lefévère, manager de la formation belge. Je lui ai dit que la panique était mauvaise conseillère, et qu’il ne fallait pas se focaliser sur les cinq victoires de Kittel l’an dernier, c’était un truc exceptionnel. »

Gaviria en a remporté quatre sur le Tour d’Italie 2017, dont il avait décroché le maillot cyclamen du classement par points. Second Colombien à revêtir le jaune, quinze ans après Victor Hugo Penã (2003), il peut espérer faire aussi bien que son glorieux aîné qui l’avait porté trois jours, puisqu’un nouveau sprint est prévu demain, et que la Quick-Step risque de briller lors du contre-la-montre par équipes lundi.

Quid du vert, en fin de Tour ? « Sagan l’a gagné cinq fois, il reste le favori, répond le vainqueur de Paris-Tours 2016. Si je ne l’ai pas à Paris, ce ne sera pas la fin du monde. » Même discours pour Patrick Lefévère, et son inimitable accent flamand : « Je ne veux pas être prétentieux, parce que quand on est prétentieux sur le Tour, on est souvent punis. Il faut jamais vendre la peau de l’ours avant que tu l’as buté. »

Les routes étroites, c’est bon pour le spectacle, moins pour les coureurs

Cinq kilomètres de routes étroites, jonchées de mobilier urbain - vos suggestions pour une expression plus heureuse sont les bienvenues -, ont donc foutu un bazar pas possible dans le classement général, plus qu’une étape de 200 kilomètres dans les Alpes.

Nairo Quintana a pris de plein fouet un îlot directionnel, cassé ses deux roues et dû attendre sa voiture Movistar, loin derrière, pour changer de machine : il débourse une minute et quinze secondes et la donne change déjà un petit peu dans l’équipe aux trois leaders (avec Valverde et Landa). Le favori pour le maillot blanc, Egan Bernal, s’est pris une bande de rétrécissement et a fini dans le groupe Quintana. Porte, Yates et Froome ont chacun été ralentis par des chutes, comme les autres prétendants au maillot blanc Pierre Latour et Marc Soler, ainsi que le sprinteur de la Groupama-FDJ Arnaud Démare.

Les organisateurs du Tour ne cachent pas aimer les routes étroites, qui rendent l’organisation d’une poursuite plus difficile et donnent lieu généralement à des courses très ouvertes - car il est plus difficile pour les favoris d’être tous bien placés, et le peloton est très étiré. Mais elles ont un inconvénient : le risque de chute est plus élevé, d’autant plus s’il y a une forte tension et que des îlots directionnels ou des bandes de rétrécissement jalonnent la route. Amaury Sport Organisation (ASO) peut parfois les faire enlever s’ils les estiment trop dangereux, mais dans une certaine limite.

Dans ces dix premiers jours, les coureurs seront souvent placés dans cette situation, notamment lors de l’étape menant à Quimper. Pas forcément une bonne idée, jugeait Nicolas Portal à l’arrivée, rappelant que ce qui était possible sur les Tours d’Italie et d’Espagne ne l’était pas forcément sur le Tour de France, où la tension est décuplée :

« On peut perdre plus de temps dans une traversée de village que dans la montée de l’Alpe d’Huez mais je pense que les organisateurs savent ça. Ils ont aussi leurs impératifs. Sur des petites routes comme ça, pas vraiment droites, il y a toujours un risque. Ça arrive aussi quand les routes sont très larges mais là, les routes n’aidaient pas. Ce qui rend la course nerveuse rend aussi la course dangereuse. Si on veut rendre les choses un peu plus sécuritaires pour les coureurs, il faut plus d’espace. »

Et ce, même avec 22 coureurs de moins dans le peloton.