Vue aérienne du Pentagone, le siège du ministère américain de la défense, à Washington, en mars. / Yuri Gripas / REUTERS

Rarement un appel d’offres du Pentagone n’aura créé une telle polémique. Avec plusieurs mois de retard, une première étape vient d’être franchie, vendredi 12 octobre. En jeu : un contrat pouvant atteindre 10 milliards de dollars (8,6 milliards d’euros) sur dix ans pour héberger une partie des données du ministère américain de la défense dans le « cloud computing », l’informatique dématérialisée. Amazon et Microsoft semblent les mieux placés pour emporter la mise.

Pour Rick Holgate, analyste au sein du cabinet Gartner, les deux groupes de Seattle (nord-ouest des Etats-Unis) sont « les seuls qui peuvent fournir un service de “cloud” de cette ampleur ». Le Pentagone souhaite en effet choisir un fournisseur unique pour l’ensemble du contrat, connu sous l’acronyme JEDI (pour Joint Enterprise Defense Infrastructure). Son appel d’offres, qui totalise plus de 1 300 pages, recense ainsi de nombreux critères technologiques et financiers qui devraient disqualifier tous les autres prétendants, tels IBM et Oracle.

Par ailleurs, Google s’est retiré de la course. Le mastodonte du Web justifie sa décision par ses nouveaux principes en matière d’intelligence artificielle (IA), qui prévoient notamment de ne pas contribuer au développement d’armes. Confrontée au courroux de ses salariés, la firme de Mountain View (Californie) avait déjà renoncé, en juin, à renouveler un projet avec le Pentagone utilisant des logiciels d’IA pour mieux analyser les images filmées par les drones de l’armée américaine.

Le choix définitif est attendu au printemps 2019. La procédure pourrait cependant être ralentie par les recours déposés par IBM et Oracle devant le Government Accountability Office, l’équivalent de la Cour des comptes. Les deux sociétés remettent en cause l’option du fournisseur unique, que le ministère de la défense motive par des raisons d’efficacité et de sécurité. « Aucune entreprise dans le monde n’aurait choisi de bâtir un “cloud” comme JEDI », lance Sam Gordy, responsable des contrats gouvernementaux chez IBM.

Une étape importante

Face à Microsoft, Amazon Web Services part avec une longueur d’avance. Pionnière sur ce marché, la filiale du géant du commerce en ligne a déjà décroché des contrats importants avec des agences fédérales américaines, en particulier avec la CIA. Elle est, pour l’instant, la seule à disposer des autorisations nécessaires pour héberger des données sensibles du gouvernement.

Reste une inconnue : l’impact de ses mauvaises relations avec Donald Trump. La Maison Blanche assure que le président des Etats-Unis n’est pas impliqué dans le processus de décision. « Mais il s’est déjà immiscé dans d’autres contrats », rappelle Rick Holgate. Selon l’agence Bloomberg, Safra Catz, la co-PDG d’Oracle, se serait directement plainte auprès de M. Trump.

Le contrat JEDI est une étape importante pour le ministère de la défense, qui amorce sa transition vers le « cloud ». « L’avantage, sur le champ de bataille, ne peut pas être obtenu sans l’adoption du “cloud” », assure Dana Deasy, son responsable des technologies de l’information. Le Pentagone souhaite notamment tirer parti des progrès de l’IA pour analyser davantage de données et fournir à ses soldats des informations en temps réel.

« JEDI ne représente que le début », juge ainsi M. Holgate. Un deuxième appel d’offres, de 8 milliards de dollars sur dix ans, doit être lancé en 2019. A terme, estime l’analyste de Gartner, le Pentagone pourrait dépenser jusqu’à 10 milliards de dollars par an pour son « cloud ».