Mouvement des « gilets jaunes » : transition énergétique et crise sociale
Mouvement des « gilets jaunes » : transition énergétique et crise sociale
Editorial. La mobilisation nationale contre la hausse des carburants, samedi 17 novembre, illustre la difficulté à changer de modèle.
Editorial du « Monde ». Le « bololo » annoncé aura-t-il finalement lieu ? L’expression, utilisée initialement par les militaires, a été reprise cette semaine par Edouard Philippe pour s’alarmer d’éventuels débordements lors de la mobilisation nationale contre la hausse des carburants, samedi 17 novembre. L’analogie du premier ministre est aussi inédite que ce mouvement de colère, qui cherche à cristalliser le ras-le-bol fiscal d’une partie de la population. La détermination de l’exécutif, qui a su canaliser la contestation syndicale contre ses réformes et neutraliser des oppositions en pleine recomposition, est aujourd’hui sérieusement mise à l’épreuve par ce mouvement protéiforme, dit des « gilets jaunes ».
L’accueil plus que mitigé des mesures visant à soulager le portefeuille des moins fortunés, obligés d’utiliser quotidiennement leur voiture pour aller travailler, ne laisse augurer rien de bon. La colère et le ressentiment, qui ont bien d’autres ressorts que la seule taxation des carburants, sont maintenant trop ancrés pour s’évaporer à la faveur d’annonces tardives.
Sentiment d’abandon
Les 500 millions d’euros mobilisés pour faire accepter la transition énergétique auront ainsi toutes les peines du monde à calmer un malaise qui tient à la fois à un sentiment d’abandon des territoires ruraux et périurbains, à la stagnation du pouvoir d’achat et au mépris des « élites » ressenti par une partie de l’opinion publique – « Je n’ai pas vraiment réussi à réconcilier le peuple Français avec ses dirigeants », a reconnu M. Macron, le 14 novembre.
L’exécutif a avant tout péché pour n’avoir pas su anticiper une évidence : si nous sommes tous égaux devant l’urgence climatique, certains le sont plus que d’autres pour lutter contre ses causes. Il est plus facile de changer ses habitudes quand on est citadin avec des revenus confortables.
Le pouvoir paye aussi le fait que nombre de Français ont l’impression compréhensible de se sentir piégés. Pendant des années, il leur a été expliqué que le diesel était LA solution, en incitant des millions d’entre eux à opter pour ce type de motorisation, avant qu’on ne se rende compte que le remède avait plus d’inconvénients que d’avantages.
Fiscalité jugée illisible
Il y a enfin l’argument de l’utilisation des recettes fiscales, dont seule une part minoritaire est destinée à la transition énergétique. On aura beau expliquer que ce qui caractérise l’impôt écologique, ce n’est pas tant la façon dont il est dépensé – même si cela aide à son acceptation – que son assiette, que l’objectif premier n’est pas d’engranger des milliards, mais de changer les comportements, les automobilistes ont le désagréable sentiment d’être les victimes d’une fiscalité jugée illisible.
Pour autant, le cap de la transition énergétique doit être maintenu, même s’il faut que ses modalités prennent mieux en compte la justice sociale. Un défi compliqué, alors que le véritable baromètre pour l’opinion reste le cours du pétrole. C’est sa faiblesse qui, un temps, a permis de rendre indolore la taxe carbone. C’est aussi la flambée des derniers mois qui l’a rendue insupportable. Enfin, ce sera peut-être le recul de 20 % enregistré depuis le dernier pic début octobre qui ramènera le calme, plus sûrement que tous les chèques énergie signés par l’Etat.
Raison de plus pour prendre des mesures courageuses dans le but de diminuer la dépendance à un pétrole dont on sait que le prix, au-delà des soubresauts conjoncturels, ne cessera d’augmenter, un pétrole qui continue à représenter 80 % de notre déficit commercial au profit de pays parfois peu recommandables et qui, à la fin des fins, contribue à rendre notre planète invivable.