A Paris, la foire internationale dédiée aux arts urbains se félicite de sa première édition
A Paris, Urban Art Fair se félicite de sa première édition
Par Emmanuelle Jardonnet
Près de 20 000 visiteurs se sont rendus à Urban Art Fair, pour un volume de ventes de plus de 1,2 million d’euros.
Vue d'ensemble de la première édition d'Urban Art Fair à Paris. | URBAN ART FAIR
Les interventions sauvages ont fleuri aux abords du Carreau du Temple, dans le 3e arrondissement parisien, le week-end du 22 au 24 avril. Comme un mini « off » spontané et en plein air qui a égayé la longue queue qui se formait, chaque après-midi, devant l’entrée d’Urban Art Fair, première foire internationale dédiée aux arts urbains. Un lieu d’exposition et de vente en accès payant pour les visiteurs (de 8 à 12 euros), avec un accès libre à la journée de conférences, le samedi. Près de 20 000 collectionneurs et curieux se sont déplacés, selon les organisateurs.
Un événement qui s’inscrit dans une logique amorcée par les maisons de vente, qui, depuis quelques années, ont créé des enchères consacrées à ce segment montant du marché de l’art, en le séparant de l’art contemporain. Pour cette première édition, 33 galeries, dont un tiers d’étrangères, venues d’Allemagne, de Londres, de Belgique, des Pays-Bas, de Suisse ou d’Italie, étaient présentes.
« On est restés un peu classiques »
Le Carreau du Temple, un lieu central, lumineux et moderne… que certains observateurs ont pu trouver un peu « aseptisé » face au mouvement artistique représenté. Le maire du 13e arrondissement, Jérôme Coumet, qui promeut depuis plusieurs années le street art sur les murs de sa circonscription, en a fait la remarque lors d’une conférence organisée sur les « limites de la loi », s’étonnant que le lieu choisi soit si « propre », et pas davantage « bousculé » par les graffeurs représentés. Son interlocuteur, l’artiste Jean Faucheur, lui a rétorqué qu’une foire « n’est pas un lieu habité par les artistes, mais juste un lieu de vente pour les galeristes ».
Les organisateurs de la foire tranchent également la question. « Ce n’est pas un festival, on n’est pas dans l’underground, mais dans quelque chose d’institutionnel, il faut l’assumer », dit au Monde Yannick Boesso. « Cette première édition était un test, on avait besoin de trouver la confiance des galeries et de faire nos preuves. C’est vrai qu’on est restés un peu classiques, et on va sûrement essayer d’être plus surprenants l’an prochain », nuance sa collaboratrice Frédérique Cadieu.
Alors que les arts urbains sont nés dans l’illégalité, cette question de la caution de la rue, de son énergie ou de son état d’esprit reste ainsi une dimension paradoxale pour le secteur marchand. Or, les artistes représentés en galerie ont fait le choix de produire des œuvres en atelier, la majorité en poursuivant une activité dans la rue, parfois autorisée, avec des commandes (publiques ou associatives), souvent illégales. Illégales, mais par forcément « vandales » : toutes les nuances et les combinaisons existent dans ce milieu.
Des absences
Les paradoxes du milieu se sont aussi illustrés par des absences. L’historien d’art Christian Omodeo, un temps annoncé comme modérateur d’une des conférences, a été remplacé. Il est le commissaire d’une exposition sur le street art qui fait actuellement polémique à Bologne, en Italie, en raison de l’ exposition de fresques extraites des murs de la ville et privatisées sans le consentement des artistes. Blu, avait ainsi fait savoir sa désapprobation, il y a quelques semaines, en effaçant l’intégralité de son travail de la ville afin d’éviter toute récupération, avec un accueil très favorable de ses pairs et une résonance internationale de son action. Dans ce climat, on imagine que la présence de Christian Omodeo n’était pas forcément la bienvenue.
Absences encore de galeries parmi les plus représentatives de la scène parisienne, comme Magda Danysz, Itinerrance, Open Space ou Mathgoth. La galeriste Magda Danysz a cependant curaté une exposition pour la foire : une succinte « Anthologie du street art » , avec dix artistes représentés, de Seen à Vhils, en passant par Futura, Jonone ou Shepard Fairey. Des œuvres récentes et à vendre d’artistes emblématiques du mouvement. L’absence de ces galeries s’explique : bien implantées dans la ville, elles n’ont pas besoin de payer un stand pour rencontrer leurs collectionneurs. D’où un plus grand nombre de galeries émergentes ou étrangères dans les allées.
Cautions historiques
La galerie du jour agnès b., qui soutient les arts urbains depuis sa création, en 1984, était elle bien présente, offrant une caution historique à la foire. Etaient également venus, pour participer à une conférence sur l’histoire du mouvement, les photographes américains Marta Cooper et Henry Chalfant, auteurs de l’ouvrage Subway Art, qui ont documenté les années pionnières du graffiti à New York dans les années 1970 et 1980. L’icône du street art, l’insolent Banksy, s’est également vu dédier un « solo show » : une dizaine de pochoirs issus de collections privées annoncée comme « la plus importante présentation jamais montrée en France », avec des prix allant de 200 000 à 650 000 euros… Aucun n’a trouvé preneur.
Les affaires ont été bonnes pour les galeries (l’une d’entre elles a vendu l’intégralité de son stand, tandis que deux n’auraient pas remboursé le leur), avec une première fourchette du volume global des ventes fournie par les organisateurs allant de 1,2 à 1,4 million d’euros.
La foire présentait au total une centaine d’artistes, dont beaucoup de références françaises. Elle a aussi donné l’occasion de voir des pièces plus singulières, comme les toiles de l’Espagnol Manolo Mesa, explorations urbaines version peinture à l’huile, présentées par la PDP Gallery, ou une maquette monumentale façon Google Earth, avec une vision en plongée d’une favela par l’artiste Hendrik Czakainski, présentée par la galerie berlinoise Urban Spree.
Une place aux galeries américaines
Fort d’un « succès public et professionnel », Urban Art Fair entend désormais se développer. « Nous souhaitons créer une foire annuelle à New York, en décalage de six mois avec Paris, dès 2017, afin de permettre aux galeries d’être en contact avec un autre public, et aux collectionneurs de découvrir d’autres scènes », explique Yannick Boesso. Avec un accent donné « au graffiti à New York, au street art à Paris ».
Côté parisien, l’idée est donc à l’avenir d’introduire des galeries américaines, et davantage de britanniques, avec une sélection plus forte. Pour pallier le problème de place, la solution envisagée est de trouver un deuxième lieu non loin « pour installer des solo shows sur des collections, des artistes ou des villes à l’honneur, en gardant le Carreau du Temple pour les plus belles galeries ». Si les responsables du lieu sont d’accord… Il se dit que les tags griffonnés ça et là lors du démontage n’auraient pas été appréciés.